Retrouvez l’interview de Thibauld Moulaert dans laquelle il présente son intervention intitulée « Vieillissement actif et en santé : perspectives internationales sur un référentiel de politiques publiques » (session « Vieillir en santé dans la cité : les stratégies sur l’environnement et les modes de vie en question », mercredi 26 novembre 2014, 11h-12h30).

Monsieur Thibauld Moulaert est sociologue et coordinateur scientifique du Programme d’Etude International sur le vieillissement (PEIV, REIACTIS), il est professeur invité HEPN (Namur, Belgique) et professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Canada).

Pouvez-vous présenter vos travaux ?

Après avoir terminé une thèse de sociologie sur la manière dont l’action publique en matière de fins de carrière était traversée par des processus de responsabilisation de l’individu à partir de la notion de « vieillissement actif en emploi » [1], j’ai poursuivi l’étude de ce mot, « vieillissement actif », à travers sa production sur la scène internationale par de grandes institutions comme l’OCDE ou l’OMS. C’est là que j’ai peu à peu découvert que non seulement ce terme pouvait avoir des significations et des implications pour l’individu assez différentes, mais aussi que c’était mon regard de chercheur qui devait être questionné. Ainsi, durant mon post-doctorat au Fonds National de la Recherche Scientifique belge, j’ai démontré deux choses avec mon collègue Jean-Philippe Viriot Durandal. Tout d’abord, que l’OMS d’un côté et l’OCDE de l’autre représentaient deux espaces de production / promotion distincts du « vieillissement actif » (ou plus exactement du « active ageing » en raison de la dominante anglophone dans cet espace international), les instances européennes naviguant entre ceux-ci. Ensuite, que les espaces de la production scientifique francophone et anglophone étaient également opposés quant à la perception de ce terme : pour les chercheurs francophones (voir pour les chercheurs français), le « vieillissement actif » renvoyait très majoritairement aux questions d’emploi, dans près de 7 cas sur 10, tandis que dans l’ensemble des articles anglophones identifiés, à peine 2 articles sur 10 s’y rapportaient ! Pour sortir de cette monofocalisation, dans laquelle j’étais situé, j’ai décidé de suivre une traduction particulière du « vieillissement actif » en étudiant son usage au cœur des « villes et communautés amies des aînés ». Ce programme de l’OMS a fait ses premiers pas en 2005-2007 et s’est aujourd’hui répandu à travers le monde, le Québec étant fréquemment cité comme un modèle.

Quels sont les principaux enseignements issus de vos recherches et des sujets que vous abordez ?

Si je me limite aux « villes et communautés amies des aînés », je tirerais trois enseignements ; premièrement, je constate que le thème est peu étudié dans l’espace de la recherche française, voir francophone (mis à part au Québec). C’est comme si les chercheurs n’avaient pas totalement [2] saisi l’intérêt de travailler, en dialogue avec les acteurs locaux (élus politiques, acteurs de la société civile, aînés et représentants d’aînés), sur l’environnement social et bâti et sur la manière dont on prend en compte, ou pas, la « voix des aînés » dans la gestion territoriale locale. C’est un axe que nous avons voulu développer, au sein du Programme d’Étude Internationalsur le Vieillissement (PEIV) du REIACTIS avec Jean-Philippe Viriot Durandal et Marion Scheider, ce travail étant soutenu par la CARSAT Bourgogne Franche Comté ainsi que d’autres partenaires tels que la MSA Bourgogne ou Malakoff Médéric.

Deuxièmement, à travers les « villes et communautés amies des aînés », on voit l’importance de l’intermédiation de certains acteurs. Par exemple, en Belgique, nous avons observé la place centrale jouée par des agents communaux pour littéralement porter les projets dans un programme « villes et communautés amies des aînés » et ainsi concrétiser, pragmatiquement, une autre traduction possible du « vieillissement actif » (c’est-à-dire une vision plus proche de la promotion de la citoyenneté que la centration sur « l’emploi des seniors »). Ainsi, et c’est mon troisième point, c’est véritablement le regard que le chercheur pose sur l’objet qui peut générer de nouvelles connaissances. À condition aussi d’être dans un dialogue respectueux et réciproque (dialogue qui peut bien sûr être un enjeu de négociations et de tensions) avec les acteurs qui participent aux « villes amies des aînés ». C’est ce qu’on observe dans une série de lieux qui ont porté loin leurs démarches (je pense à la ville de New York ou, plus généralement, à la longue expérience du Québec avec des chercheurs comme Suzanne Garon ou Marie Beaulieu qui furent initiatrices du projet dès 2007).

En quoi vos travaux peuvent-ils amener des préconisations pour améliorer le sort des personnes âgées ?

En tant que sociologue, c’est toujours compliqué de répondre à une telle question... Du moins, quand je me trouve en France ou en Belgique ! À force de fréquenter différents horizons, différents types d’acteurs ou différentes disciplines (travail social, gérontologie, psychologie, etc.), je pense aujourd’hui qu’il est possible – voir nécessaire – pour un chercheur en sociologie non seulement de maintenir une activité de réflexion critique disciplinaire (c’est la place du contrôle par les pairs), mais également d’être en dialogue avec l’acteur public, avec la société civile, non pas pour dire ce qu’il devrait faire, mais pour réfléchir, à ses côtés, en indiquant une série de voies possibles. Par exemple, si je prends le cas des « villes et communautés amies des aînés », je dirais que c’est un tournant non seulement pour l’action publique (dans le sens d’une action publique plus en dialogue avec le niveau local, ceci incluant non seulement les professionnels ou les élus, mais aussi et surtout les aînés à travers leur participation aux processus de réflexion et d’action), mais aussi pour la recherche sur le vieillissement (c’est se déplacer d’une centration sur l’individu, vers une articulation plus forte entre l’individu et l’environnement). Pour « améliorer le sort des personnes âgées », peut-être pourrions-nous commencer par les considérer comme des citoyens à part entière plutôt que de les enfermer trop vite dans les cases que nous construisons à travers nos disciplines scientifiques, notre système socio-sanitaire et administratif ou nos représentations, quand il ne s’agit pas de les considérer, sans le dire, comme de nouveaux clients ou consommateurs ! Ce serait la meilleure preuve d’une compréhension plus fine du référentiel du « vieillissement actif », la preuve que « vieillir en santé dans la cité » est une occasion à saisir et que le dialogue pluridisciplinaire peut porter du fruit.


[1] Thèse publiée ultérieurement : Gouverner les fins de carrière à distance. Outplacement et vieillissement actif en emploi, 2012, Bruxelles, Peter Lang.

[2] Certains chercheurs ont néanmoins identifié cet enjeu : Viriot Durandal J.-P., Pihet C., & Chapon P.-M., 2012,Les défis territoriaux face au vieillissement, Paris: La Documentation française.