SYNTHÈSE DU RAPPORT
En mars dernier, le Conseil National de la Silver Economie invitait Jean-Pierre Aquino, médecin gériatre, secrétaire général de la SFGG et Marc Bourquin, conseiller stratégie à la Fédération Hospitalière de France, a réfléchir à la question des innovations numériques et technologiques dans les établissements et services pour personnes âgées.
Pour ce faire, ils ont procédé à l’audition de 21 experts et/ou professionnels de santé. Ils ont rendu compte de leurs travaux au Conseil National de la Silver Economie du 20 juin et rendront un rapport définitivement rédigé avant la fin juin afin de prendre en compte les remarques et amendements des membres du Conseil. Ce Rapport sera ensuite adressé à la Ministre ainsi qu’aux députés et sénateurs intéressés par ces sujets en prévision des prochains débats parlementaires.
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Mue par la progression exponentielle des capacités de calcul informatique, de stockage et de circulation des données, la révolution technoscientifique actuelle touche tous les pans de la société et permet la naissance de nouveaux secteurs particulièrement porteurs : edtech, fintech, healtech, biotech, foodtech, agritech... Or, cette dynamique peine à rencontrer l’autre grande révolution du XXIè siècle : la révolution démographique.
Alors que la première devrait apporter de nombreuses solutions pour permettre à la seconde de devenir une opportunité pour notre pays, l’association entre la technologie et le grand âge n’est pas toujours appréhendée positivement au point que la Silvertech demeure à l’état embryonnaire, y compris dans les EHPAD.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. Nous en avons retenu trois qui nous semblent essentielles.
Rapport :
Synthèse présentée lors du CNSE du 20 juin 2019
- Premièrement, un certain « techno-scepticisme » accompagne les innovations liées au vieillissementIl flotte toujours dans l’esprit de l’opinion publique que la montée en puissance des solutions numériques va de pair avec une certaine déshumanisation de l’accompagnement de la fragilité ou de la perte d’autonomie. Non seulement cette vision passéiste nous paraît fausse, mais nous affirmons au contraire que c’est par l’utilisation intelligente et mesurée de la technologie que nous serons demain en mesure de multiplier les rapports humains entre les personnes âgées et les aidants, qu’ils soient professionnels ou familiaux. L’enjeu culturel est de taille pour faire accepter les innovations technologiques et numériques en gérontologie.
- Deuxièmement, les innovations technologiques sont les grandes absentes des politiques publiques.
Le rapport Libault, aussi important et pertinent soit-il, ne contient pas de mesures phares en la matière. La révolution numérique et l’impact de l’intelligence artificielle demeurent encore trop souvent des impensés des politiques publiques. Rendons néanmoins grâce à Dominique Libault de l’avoir reconnu cette absence et d’avoir encouragé justement notre filière à s’emparer du sujet et à formuler des propositions. Probablement, les pouvoirs publics, élus et administrations, au plan national comme au plan local, hésitent eux-mêmes à promouvoir tous ces nouveaux outils de peur d’être accusés de vouloir compenser les trop faibles moyens humains par des ... robots. - Troisièmement, la difficulté à soutenir le passage à l’échelle des solutions technologiques et numériques.
Alors que notre pays peut s’enorgueillir de proposer un écosystème extrêmement favorable à la création de start-up, il peine encore à offrir un soutien suffisant à celles qui souhaitent passer à un niveau de distribution supérieure. L’image du banquier qui demande à un entrepreneur de revenir trois ans plus tard avec des bilans positifs afin de financer un projet de mise à l’échelle doit s’évaporer !Culturelle, politique, économique, le soutien aux innovations technologiques et numériques dans le domaine du vieillissement doit être entier. Le rapport que nous avons eu l’honneur de rédiger, et dont vous lisez une présentation succincte, ambitionne donc d’apporter une pierre à l’édifice afin que notre pays bascule dans une vision moderne de l’accompagnement des personnes âgées. Réalisé à partir d’une vingtaine d’auditions de professionnels, il se décompose en deux parties : constats et préconisations.
1. Les constats
À travers ces auditions, nous avons pu dresser un constat en sept points, constat qui pose clairement les bases du travail à engager pour faciliter la mise en œuvre des innovations numériques.
- Constat n°1 : partir des besoins identifiés et non pas de l’offre.
Dans une société où l’individu ne cesse de voir progresser ses aspirations, où la liberté et la volonté d’autonomie deviennent des paradigmes centraux, il n’est plus possible de partir d’une offre pour tenter de la faire « coller » avec les besoins. Dans le cas du vieillissement de la population, les besoins les plus fréquemment exprimés sont au nombre de quatre : la prévention et la santé ; la sécurité ; la mobilité et l’accessibilité ; la communication et le renforcement du lien social.
- Constat n°2 : un rapport pragmatique à la technologie chez les professionnels.
Les professionnels des établissements et de l’aide à domicile désirent des outils qui répondent aux besoins mais aspirent avant tout à l’efficacité et à l’ergonomie des solutions proposées. - Constat n°3 : Déconstruire le mythe de l’incapacité à intégrer de nouvelles technologies chez les personnes âgées.
Bien accompagnées, conscientes des bienfaits qu’une utilisation adéquate peut avoir sur leur qualité de vie, elles sont parfaitement en mesure d’user des technologies qui leur sont proposées. Les technologies peuvent servir de catalyseur pour promouvoir les capacités de la personne. - Constat n°4 : La persistance d’une des passions tristes les plus associées au français : le pessimisme.Celui-ci s’exprime ici de deux manières. D’abord par un regard sur la personne âgée qui demeure négatif, cette dernière restant associée à la fin de la vie active, à la fin de la vie sociale puis à la fin de vie, tout court. Cette triste fatalité doit pourtant, au moins sur les deux premiers points, être repoussée. Les seniors, et encore plus les seniors de demain, seront actifs dans tous les sens du terme de plus en plus longtemps. Une société qui comptera bientôt un tiers de ses membres de plus de soixante ans doit commencer à se penser comme inclusive, au risque de perdre en cohésion si elle ne le fait pas. Le pessimisme s’exprime également en ce qui concerne l’encadrement des résidents d’EHPAD. Oui la France propose un taux d’encadrement qui est plus faible que dans certains pays d’Europe. Mais cette réalité ne doit pas aboutir au phénomène de « bashing » que l’on connaît depuis plusieurs mois. Certains abus peuvent toujours exister mais ils ne doivent pas jeter l’opprobre sur l’ensemble des structures. Cependant, il faut profiter de cette mise en lumière pour rappeler les besoins en personnel et les difficultés rencontrées afin de pourvoir l’ensemble des postes.
- Constat n°5 : Les différents rapports à la technologie chez les professionnels, certains y voyant des leviers prometteurs d’attractivité quand d’autres s’interrogent sur les risques qu’ils peuvent faire courir sur la qualité et la quantité d’emplois.
- Constat n°6 : Un fossé entre concepteurs et utilisateurs qui peut poser un problème d’acculturation. Nous l’avons évoqué dans l’introduction de la présente synthèse, l’acculturation aux nouvelles technologies n’est pas un problème pour les personnes âgées, dès lors qu’elles sont accompagnées et qu’elles perçoivent le bénéfice de celles-ci dans leur quotidien. Or, les professionnels s’alarment de voir certains concepteurs oublier totalement ces données, ce qui revient une nouvelle fois à privilégier l’offre sur les besoins...
- Constat n°7 : l’absence de stratégie dédiée aux nouvelles technologies dans les établissements et les services.
2. Les préconisations
Au regard des constats présentés précédemment, nous avons souhaité avancer deux types de préconisations : les préconisations générales et les préconisations thématiques.
Nous souhaitons d’abord et avant tout la mise en place d’un « pack technologique » dans les EHPAD, USLD, Résidences autonomie, Résidences Séniors et services d’aide à domicile.
Engager la modernisation technologique de l’ensemble de ces structures, c’est permettre le déploiement à grande échelle de solutions nouvelles, l’abaissement des coûts de production et la mise en route d’un processus d’acculturation qui, très vite, pourra être reproduit à domicile. Pour être performant, ce « pack » passe par la définition d’un « socle commun de technologies » qui pourrait comprendre les 4 éléments de solutions suivants :
- Des outils domotiques pour maintenir l’autonomie : luminosité, volets, télévision, rails de transfert, fauteuils électriques, clés électroniques...
- Des dispositifs de « levée de doute » en EHPAD comme à domicile : détection électronique des chutes, géolocalisation.
- Des dispositifs de traçabilité et d’accès effectifs aux soins : dossiers patients informatisés et interopérables, télémédecine, verres connectés pour lutter contre la déshydratation, piluliers connectés pour assurer l’observance.
- Des outils favorisant le lien social et luttant contre l’isolement et les troubles cognitifs : robots sociaux, serious games, réalité virtuelle.
Concomitamment à ce déploiement, un plan de financement du « pack technologique » permettra un partage de l’investissement entre les acteurs.
Cet effort d’investissement supplémentaire peut être évaluer à 5.000€/place soit 3,5 milliards d’euros sur les 10 ans qui viennent, coût qui pourrait être réparti de la façon suivante :- Un investissement massif serait subventionné à 50%, soit 175 millions d’€/an provenant du PLFSS, de la CNSA ou des Conférences des Financeurs.- Parallèlement, le budget de fonctionnement des établissements et services serait abondé à hauteur de 600 millions d’euros afin :
- de financer un poste de référent « technologie » partagé entre opérateurs à raison de 0,5 Etp pour 100 lits ou places, soit un coût de 170 millions d’euros pour l’ensemble des Ehpad, Usld, Ssiad.- d’intégrer progressivement des amortissements d’équipements dans les tarifs à hauteur de 625€/an soit un renforcement du forfait soins de 430 millions d’€.Un rapport complet sera remis avant la fin du mois de juin à la Ministre des Solidarités et de la Santé ainsi qu’aux parlementaires.Voir les autres communiqués de presse de la SFGG