Ministère des Solidarités et de la Santé
Monsieur Olivier Veran
Ministre de la Santé et des Solidarités
14, rue Duquesne
75350 Paris

 

Paris, le 11 avril 2020

Monsieur le Ministre,

 

Nous souhaitons par la présente vous redire tout notre soutien dans la traversée de cette période si particulière et si délicate au cours de laquelle nombre d’incertitudes scientifiques doivent laisser place au doute mais rendent plus complexes encore des prises de décision aux enjeux majeurs.

Interrogés quant aux indications et à la pertinence des tests RT-PCR au sein des EHPAD, nous considérons que ces derniers sont avant tout des tests ayant leur indication dans le cadre du diagnostic dès lors qu’existe une suspicion d’infection Covid 19, c’est-à-dire devant une forme symptomatique, qu’il s’agisse de résidents ou de professionnels exerçant au sein de l’établissement.

L’intérêt d’un « dépistage », terme ne pouvant être réservé qu’aux personnes asymptomatiques, expose à un certain nombre de difficultés. Ainsi, élargir cette indication aux professionnels des EHPAD asymptomatiques, expose au risque d’identifier chez un certain nombre d’entre eux de potentiels vecteurs viraux devant en théorie être soustraits de tout contact avec les résidents et de toute façon pouvant faire valoir leur droit de retrait, deux éventualités se traduisant par un impact RH pouvant très vite devenir non viable pour le fonctionnement de l’EHPAD. Il convient par ailleurs de rappeler que les résultats de ces tests sont valables à un instant donné et doivent donc être réitérés compte tenu du risque d’infestation en dehors de l’établissement.

Néanmoins, dans une telle éventualité, deux approches pourraient être envisagées :

  • La première serait d’avoir préalablement organisé le remplacement du personnel testé positif et en arrêt pour une durée minimale de 15 jours. Si une telle éventualité est envisagée dans la région ARA par la mobilisation de 8 à 9000 étudiants, elle impose néanmoins que ces derniers aient été testés négatifs et que leurs pratiques en matière d’hygiène garantissent la pleine efficacité des mesures barrières.
  • La seconde serait de limiter l’intervention des professionnels testés positifs à une unité Covid (+) et à éviter le croisement de ces derniers avec leurs collègues par la mise en place, entre autre, de vestiaires séparés. Une telle solution implique donc d’identifier une unité dédiée Covid (+) et nécessite par conséquent la réalisation de tests PCR auprès de l’ensemble des résidents. Cependant, il convient de s’affranchir scientifiquement qu’une telle sectorisation n’expose ni ces professionnels, ni les résidents déjà infectés, à une évolution défavorable de leur état de santé. En effet, il est nécessaire de vérifier préalablement que cette proximité entre des professionnels asymptomatiques mais porteurs du virus et des résidents infectés n’influe pas sur leur charge virale et n’expose pas les professionnels au risque de devenir symptomatiques. Pour toutes ces raisons et dans l’attente du lever de ces incertitudes, nous ne privilégions pas et ne pouvons recommander cette alternative, qui de surcroit expose potentiellement le gestionnaire à des risques psycho-sociaux et nécessite donc des négociations préalables avec les partenaires sociaux.

Nous souhaiterions, Monsieur le Ministre, saisir l’occasion de ce courrier pour vous exposer une réflexion qui privilégierait une stratégie différenciée selon différents profils « Covid » d’EHPAD.

 

La priorité serait de protéger les EHPAD actuellement indemnes afin d’éviter la survenue de cas incidents. Dans cette optique, il conviendrait pour ces EHPAD :

1/ de renforcer des mesures barrières et d’hygiène en s’appuyant plus encore qu’aujourd’hui sur l’expertise des équipes opérationnelles d’hygiène et sur les équipes maitrisant parfaitement les procédures de bio-nettoyage dès lors qu’existe un ou plusieurs cas identifiés.

2/ de différer le moment du « déconfinement » en conditionnant ce dernier aux résultats des tests biologiques couplant RT-PCR et sérologies dès lors que ces dernières auront obtenues toutes les garanties de fiabilité en termes de sensibilité et spécificité et que leur interprétation ne laissera aucun doute persister. En effet, pris isolément,  les tests RT-PCR, assortis de surcroit d’un taux élevé de faux négatifs, ne permettront pas de réunir les conditions nécessaires à une prise de décision de « déconfinement » garantissant aucun risque.

S’agissant des établissements déjà victimes d’un ou plusieurs cas au sein des résidents et/ou des professionnels,

 En considérant les impératifs médicaux de protection des résidents et les impératifs sociaux des employeurs, une stratégie régionale consistant à prioriser les tests entre résidents et professionnels en fonction du statut des établissements pourrait être proposée aux ARS.

La stratégie exposée ci-après pose comme préalable l’impossibilité pour un professionnel asymptomatique mais contagieux d’être maintenu dans son exercice une fois dépisté, sauf à considérer qu’une telle clause puisse être révisée après négociation avec les représentants du personnel.

Si l’on excepte la situation d’un EHPAD indemne à la fois de cas « résident » et de cas « professionnel » telle qu’elle est exposée ci-dessus, cette stratégie (cf tableau ci-dessous) distingue 3 profils d’établissements selon leur statut « Covid ».

 Les priorités établies dans cette stratégie tiennent à la fois compte de la nécessité d’un bon usage des tests (en référence à leur disponibilité et aux contraintes de leur réalisation) et au délai de recours aux sérologies, le couplage PCR/sérologies devant à court terme être privilégié.

 

  • Le profil 1 priorise la réalisation de tests PCR de masse auprès des résidents des EHPAD au sein desquels ont été identifiés à la fois des résidents et des personnels symptomatiques. Les résultats des tests permettent le « zoning » des résidents positifs et négatifs dans l’établissement.
  • Le profil 2 priorise les tests PCR de masse auprès des résidents des EHPAD au sein desquels ont été identifiés un ou plusieurs résidents symptomatiques, le personnel étant encore non symptomatique.
  • Le profil 3 priorise les tests PCR de masse auprès des professionnels des EHPAD au sein desquels  au ou plusieurs cas de salariés symptomatiques ont été identifiés. En effet, dans une telle situation, la probabilité qu’un nombre élevé de professionnels asymptomatiques soit porteurs pourrait être très significative. Dans ces établissements, la réalisation des tests auprès des résidents permet d’appliquer le « zoning » des résidents positifs et négatifs dans l’établissement.

 

 

Cette stratégie implique le respect des mesures 1, 2, 4 et 5 exprimées dans notre courrier du 26 mars dernier, et que vous avez déjà mis en œuvre, à savoir, - de garantir l’accès à l’hospitalisation des résidents d’EHPAD et des personnes âgées vivant au domicile Covid 19, suspectés ou confirmés, dont le pronostic vital est engagé, - de permettre le recours à l’expertise gériatrique et en soins palliatifs par le renforcement des moyens dédiés aux équipes mobiles de gériatrie, aux plateformes gériatriques de télémédecine et aux équipes mobiles de soins palliatifs, - de renforcer l’encadrement médical et soignant (IDE, aide-soignantes) des EHPAD et de garantir une permanence infirmière de nuit, en mobilisant l’ensemble des professionnels libéraux et la Réserve Sanitaire, - d’assurer une permanence de gériatre 24/24 par territoire, joignable par les EHPAD  par téléphone et/ou visioconférence.

Là encore, les tests biologiques seront d’autant plus contributifs dès lors qu’ils coupleront RT-PCR et sérologies afin de différencier les résidents « guéris » et donc éligibles au « déconfinement », les résidents en cours d’évolution de la maladie devant être maintenus en isolement et les résidents encore « naïfs »  pour lesquels il conviendra de prendre toutes les mesures pour éviter leur contamination.

Enfin, dans cette période de transition et dans l’attente du déploiement des tests sérologiques, si la nécessité du confinement individuel est bien établie, il est néanmoins indispensable d’éviter de faire courir à ces derniers les conséquences des effets directs du confinement à la fois sur l’aggravation de leur perte d’autonomie fonctionnelle mais aussi sur le relâchement non intentionnel du suivi et de la prise en soin de leurs multiples morbidités. Aussi, nous nous permettons de rappeler le souhait que nous avons exprimé dans notre courrier du 10 avril dernier afin que soient étudiées et appliquées aussi rapidement que possible toutes les solutions pouvant impliquer l’ensemble des professions de santé libérales dont les compétences s’inscrivent pleinement dans ces objectifs : médecins généralistes, médecins spécialistes le cas échéant, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, podologues, psychologues, psychomotriciens, orthophonistes, animateurs APA… afin que ces dernières puissent renforcer les moyens de ces établissements dans une période où ces derniers sont souvent en sous-effectifs aggravés.

Nous vous remercions d’avance de l’attention que vous porterez à notre appel et restons à votre disposition pour faire face professionnellement à nos obligations et à nos responsabilités dans le combat que vous dirigez avec constance et efficacité contre l’épidémie.

 

Pr Claude JEANDEL

Président du CNP de gériatrie (*)

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