Le cheminement personnel de l’aidant : impact sur les besoins d’aides
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Alain BÉRARD, Directeur Adjoint de la Fondation Médéric Alzheimer

 

Composition de l’entourage de l’aidant : 

  • Proche aidant (pas de rémunération en contre-partie de l’aide, pas de choix, souvent c’est une situation qui s’impose)
  • Bénévole (non-rémunéré mais c’est un choix)
  • Intervenant professionnel (qui vient amener son expertise)

Concernant l’aidant, il y a 3 caractéristiques à prendre en compte : 

  • Fonction de l’aidance (consiste à apporter une aide au quotidien)
  • Fonction de coordination
  • Les professionnels

Dans nos pratiques on a vu qu’il y a des gens qui refusent le nom d’aidant et d’autres qui revendiquent le statut d’aidant et entre cette situation il y a des situations intermédiaires comme un proche qui apporte une aide.

 

Différentes catégories d’aidants : 

  • Une personne qui va apporter une aide qui rentre dans le devoir d’assistance que l’on a dans une famille : à ce stade, le besoin c’est du savoir sur la maladie 
  • Cette aide ponctuelle va progresser : plus fréquente, plus technique, plus complexe : on passe de petits coups de main vers une réelle activité. La personne n’est pas encore un aidant
  • La personne ressent le besoin d’acquérir des astuces, des techniques qui vont permettre de faire émerger un besoin de savoir-faire (stade 3)

Exemple : Un couple. La dame souffre de la maladie d’Alzheimer. Le couple est fusionnel, il est entouré par la famille mais ils préfèrent rester tous les 2. Son mari pense que c’est devoir et son pouvoir de suffir aux besoins de son épouse. Je me souviens de conversations avec lui pourtant où il était épuisé mais jamais il n’a voulu demander de l’aide à l’extérieur. Puis un jour il finit par demander de l’aide extérieure pour la toilette. Il a à ce moment-là trois deuils à faire : le deuil de la toute puissance (il ne peut pas suffire), le deuil de la vie passée (deuil de la vie de couple fusionnel), le deuil de la maison (ouvrir la porte à de nouveaux visages).

En termes de besoin, c’est l’émergence d’un savoir-faire.

  • Une minorité va passer au 4e stade d’aidant, celui de “super-héros” car outre le fait d’aider son proche, il va aider d’autres personnes malades, d’autres aidants, des professionnels, formateur à destination d’aidants, etc. Cet aidant peut être militant, écrire des livres, etc. Cette aide va se poursuivre après le décès de la personne aidée.

 

Évolution des réponses apportées aux besoins des aidants dans le champ Alzheimer

Santé : 

- surmortalité de l’aidant (- 60% dans les 3 ans qui suivent le diagnostic dans le champ Alzheimer)
- troubles cardiovasculaires, épuisement, dépression

Répit :

- notion de fardeau (étude de 2000 qui a conduit à l’élaboration d’une échelle d’évaluation du fardeau)
- avoir du temps pour soi
- notion de couple aidant / aidé

Savoir :

- La maladie et son évolution
- Les aides disponibles (financières, temps livre et congés, les professionnels et les dispositifs, etc.)
- Vers une montée en puissance de l’aidant

Bilan : on a pas mal de choses pour aider les aidants. Mais la grosse difficulté c’est que ces aides pour les aidants se situent en stade 3 ou 4. Est-ce qu’il serait possible d’accélérer leur prise de conscience plus rapidement de telle sorte plus qu’ils puissent bénéficier plus tôt ?

Il faut aider un aidant à être autonome et c'est une forme de soin.

Aujourd’hui on est plus sur une montée en puissance de l’aidant : “empowerment”
L’idée est d’outiller l’aidant, de le rendre autonome, qu’il puisse moins dépendre d’aides de personnes, gérer le stress, son agenda, concilier vie professionnelle et vie personnelle, etc.
Prendre soin des aidants, c’est faire en sorte que ces personnes soient compétentes et à l’aise dans leur rôle d’aidant et qu’elles acceptent d’être aidées par les autres.

 

Place de l’aidant dans la société française : bilan et perspectives
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Jérôme GUEDJ, élu au Conseil Départemental de l'Essonne, auteur de "Plaidoyer pour les vieux" (éd. éditions Jean-Claude Gawséwitch) et coordonnateur de l'organisation de la Semaine nationale de la dénutrition pour le Collectif de lutte contre la dénutrition

 

La place des aidants, le statut des aidants, la question de leur reconnaissance et de leur prise en soin sont des sujets extrêmement importants dans l’environnement de la personne âgée fragile.

La question de l’isolement était reléguée, pour les politiques publiques, au champ des impensés. Beaucoup d’acteurs, gériatres, soignants, professionnels de santé et associatifs avaient parfaitement conscience de cette question mais c'était un sujet sous la toise, sous les radars, peu identifiés. Pourtant les territoires elle l’est parfaitement parce que le vieillissement et l’isolement s’inscrivent dans les territoires.

Il m’est apparu assez vite, comme une intuition facile, que le confinement allait avoir un double effet : de souligner des problématiques existantes et de faire basculer un certain nombre de personnes fragiles dans l’isolement.

Immédiatement cette question de l’isolement soulignée, amplifiée par la crise, devait nous permettre de poser des jalons pour la suite et de structurer une politique pérenne sur l’isolement, qu’on puisse regarder ce sujet comme un sujet à part entière comme le sont les sujets de formation, la restructuration de l’Ehpad, etc. Et c’est une orientation que Dominique Libault avait déjà pointée dans son rapport.

On sait bien que dans l’accompagnement des personnes âgées il y a une pluralité d’acteurs. J’ai identifié 6 types d’acteurs cruciaux dans une politique de lutte contre l’isolement :

  • Les personnes âgées elles-mêmes
  • Les proches aidants
  • Les professionnels (services aides à domicile, professionnels médicaux en ville, ehpad, hôpitaux)
  • Le tissu associatif (les bénévoles, les citoyens engagés comme Mona Lisa, la Croix Rouge, les Petits Frères des Pauvres)
  • Les collectivités locales (les municipalités, les centres communaux d’action sociale, etc.)
  • Une impulsion nationale portée par l’Etat pour structurer cette politique

Sur ce sujet de l'isolement, les aidants sont en première ligne. On parle de 6 000 000 aidants voire plus, on connaît leurs difficultés, le cloisonnement du sanitaire. Ce sont eux qui assurent la coordination. D’où l’urgence, la nécessité et le besoin de les reconnaître.
Souvent, malheureusement, les sujets autour des proches aidants n’ont pas débouché. Il a fallu attendre l’automne 2019 pour qu’une stratégie autour des aidants se mettre en place. La mesure la plus emblématique : le congé de proche aidant qui a été mis en place cette année.

Il manque des acteurs organisés pour porter cette voix car les décisions publiques ont besoin d’un rapport de force pour émerger.

Un point sur lequel je veux insister dans la place de l’aidant essentiel est la question du repérage des fragilités. Il y a les outils comme ICOPE, ESOGER. Les aidants qui tôt ou tard seront concernés par les fragilités ont à gagner à cette logique de prévention et d’anticipation.

Aussi un rôle pro-actif de les mobiliser avant même que les difficultés ne surviennent s’impose.

Enfin je voudrais dire qu’il y a un sentiment de frustration très fort de la part des acteurs concernés car la reconnaissance des aidants et la facilitation de leurs actions est loin d'être satisfaisante. Je tiens à redire combien il est important d’inclure l’aidant dans l'ensemble des processus.

 

Aidants entre nature et culture
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Delphine DUPRE-LEVÊQUE, docteur en anthropologie,  (Auteure de “Viens chez moi, j’habite dans un Ehpad, fondatrice de la page Facebook Stop à l’isolement)

8,5 millions de personnes accompagnent au quotidien un proche fragilisé par l’âge ou un handicap, parmi elles, près de la moitié accompagnent des personnes âgées. Pendant longtemps ces aidants sont restés dans la sphère de l’intime donc parfaitement invisible.
Dans les années 1990-2000, beaucoup d’études ont observé les organisations familiales qui ont évolué en raison de l’allongement de la durée de vie, le départ tardif des enfants, la hausse des divorces, la hausse des familles monoparentales, etc.

Ces bouleversements sociétaux ont conduit les chercheurs à s'intéresser à la solidarité familiale.

Claudine Attias-Donfut a réalisé une étude en 1995 intitulé “Les solidarités entre générations”. Elle y a montré que l’aide n’est pas à sens unique, que chaque génération apporte des aides distinctes. Mais c’est bien la génération des 49-53 ans qui aide  plus qu’elle ne reçoit. Cette étude est particulièrement importante car elle s'intéresse notamment à la nature de l’aide.

Les aides peuvent être financières, en nature. Le bricolage, jardinage sont plutôt le domaine des aidants homme alors que ménage, entretien du linge, soins à personne, garde des enfants sont davantage l’apanage des femmes. Mais la nature et la somme des aides évoluent selon que la famille soit à 3 ou 4 générations avec l’arrivée des petits-enfants..
Passant de 3 à 4 générations, les grands-pères et les grands-mères consacrent beaucoup de temps à leurs petits-enfants. Pour autant ces nouveaux grands-parents n’abandonnent pas leurs parents âgés devenus arrières-grands-parents.
Plus d’une femme sur 3, désormais grand-mère, assume régulièrement ce soutien aux plus âgés. Enfin, cette étude permet d’observer que la nature et la densité des aides diffèrent selon la catégorie socio-professionnelle.

Des recherches en anthropologie ont mis en évidence des différences importantes concernant les structures familiales (dans le Sud ouest par exemple, c’est un modèle de famille souche où existe cohabitation intergénérationnelle, cette tradition se transmettant de génération en génération).

Une autre étude éclairante sur les résidences générationnelles réalisée en 2012 par l’Ined   a mis en évidence le maintien de ces cohabitations en milieu rural et plus particulièrement dans le Sud Ouest et la Corse. 

« Les Européens du Sud sont non seulement plus attachés à l’institution que les Européens du Nord, mais adhèrent plus fortement qu’eux aux normes d’obligation familiale. » (Valdès p. 238, 2012)

Ce qui a considérablement évolué, en un siècle, c’est la durée de cette cohabitation. Avant, on dépassait rarement 3 générations. Aujourd’hui, ces cohabitations concernent 2 générations de retraités. Cependant on peut se demander si les cultures familiales sont un gage de qualité de l’aide ? Agir par devoir de l’aide garantit-elle une  aide de qualité ?

Une étude du CREDOC “Aider un proche une situation à risque” (octobre 2020) s’est interessée à la perception du vécu par l’aidant. Cette étude montre que de nombreux facteurs entrent en jeu : qui j’aide, à quelle fréquence, pour quelles activités, à quel degré et par qui suis-je aidé ?

En outre, les aidants ne se limitent pas toujours à une seule personne à aider. Selon cette étude, une large majorité d’aidants avait plutôt un bon vécu et 1 aidant sur 3 estime même que cela l’a rapproché de l’aidé, même si cette situation bouleverse leur vie de couple, leur travail, leur relation à leurs enfants.

Pour conclure, je souhaitais montrer par la présentation de ces études que la forme de l’aide recouvre des champs d’action très différents et que pour mettre en place des aides aux aidants il faut prendre en compte leur vécu, la structure familiale. L’aide s’inscrit dans une culture familiale. Elle dépend de ce qui a été transmis et vécu par la famille. Enfin, ces études tendent à montrer que les solidarités familiales persistent et restent.

Il est important de s’intéresser au parcours de vie de chacun et de tenir compte de la culture de chacun et des besoins singuliers de aidants. Reste à étudier la perception du vécu de l’aide du point de vue des personnes aidées.  

Ref Ined : Valdes Béatrice, L’hétérogénité des modes de cohabitation des 20-29 ans et des plus de 65 ans dans les régions françaises et espagnoles, à partir des données de recensement, cahiers québécois de démographie, vol 41, n°2, Automne 2012

 

Échange entre les participants :

Anne-Julie Vaillant-Ciszewicz : J’aimerai que l’on aborde la question de la rémunération des aidants ?

Jérôme Guedj : C’est une vieille revendication que celle de pouvoir rémunérer les aidants pour leur permettre de cesser leur activité professionnelle (entre 40 et 50% des aidants sont en activité professionnelle). La loi d’adaptation de la société au vieillissement avait créé un dispositif, le congé de solidarité familiale, puis le congé proche aidant entré en vigueur en octobre 2020. Ce congé, les associations estiment que c’est un bon début mais pas assez. D’autant que les conditions sont assez strictes : sur une durée de 3 mois (renouvelable une fois), une indemnisation entre 43 et 52 euros par jour selon que l’aidant est seul ou non, il faut avoir un taux d’invalidité supérieur à 70%.  Pour la première fois une indemnisation a vu le jour mais les montants ne sont pas jugés aussi dans la durée. Ce n’est pas un accompagnement au long court. Quid des aidants qui ne sont pas salariés et pour lequel il y a besoin d’avoir une forme de compensation à l’engagement qui est le leur ?

Alain Bérard : C’est une question de sémantique. On parle de “rémunération” et “d’indemnisation” et je pense qu'il ne faut pas confondre les termes. L’une des caractéristique des aidants est qu’il n’y a pas de rémunération. En revanche, on parle ici d'indemnisation. Dans le cadre d’un congé c’est indemnisé. Je partage ce qui a été dit par Jérôme Guedj. Aujourd'hui il y a une variété de situations et de formes d’aidances et on voudrait qu’il y ait un dispositif universel. On a avancé mais maintenant espérons qu’au fur et à mesure le dispositif va s’agrandir.

Olivier Guérin : Quelle vision du cheminement de l’aidant lorsque le savoir n'est pas accessible et quand le diagnostic n’est pas fait ? 

Alain Bérard : La pauvreté de ma réponse montre qu’il y a encore beaucoup à faire par rapport à ça. C’est quelque chose que l’on trouve assez fréquemment du fait de l'âgisme. Et puis il y a les aidants qui refusent d’être pris en soin. On a peu de données par rapport à ça. Les données on les a parce qu’on prend en charge, parce qu’il y a un binôme avec un diagnostic qui a été posé, il est entré dans le parcours de soin. Mais quand la population est isolée, on est hors du scope.
Mon sentiment, à chaud, pour la population qui n’a pas de diagnostic, le plus souvent la chronologie et durée des stades va être différent. L’aidant qui est au stade 1 (des coups de main) il va s’allonger un peu. Chez les personnes en refus ou isolés on est stade 2, elles refusent de manière active toute aide, toute intrusion. On n’est pas en capacité d’accéder à ces aides. 

Olivier Guérin : depuis le début des Journées Annuelles de la SFGG, nous avons mis en avant que la prise en soin repose sur les 3 piliers, médico, psycho et social. Si on veut assurer une prise en soin optimale de l’aidant, comment voyez-vous une organisation optimale ?

Alain Bérard : Ces 3 piliers sont importants mais seulement quand l’aidant comprend l’intérêt de ces 3 piliers. La grosse difficulté c’est qu’en stade 1 et 2 l’aidant ne va pas se sentir impliqué. Il faudrait qu’il y ait un stade 0 qui consisterait à identifier ces personnes qui aident pour repérer ces aidants cachés. La grande question c ‘est qu’est-ce qu’on peut lui proposer derrière ? Avant l’organisation idéale, il y a une première situation, c'est la prise en conscience que la personne a un besoin.

Jérôme Guedj : J’avais émis une proposition dans mon rapport sur la lutte contre l’isolement. Claude Jeandel militait pour cela, c’était le repérage des fragilités du proche aidant. Peut-être est-ce une des pistes à creuser dans la prise de soin du proche aidant.

Delphine Dupré-Lévêque : Si ce sont enfants en activité, ce nera pas la même chose que si c’est un conjoint et si on est un homme ou une femme. Le plan d’aide d'accompagnement devrait prendre en compte tout cela. C’est vraiment pour chaque situation dans un contexte particulier où il faut adapter l’aide.

Olivier Guérin : Que pensez-vous du rôle du médecin traitant dans cette problématique ?

Alain Bérard : Le médecin traitant pour moi a deux difficultés : c’est une tour de contrôle pour tout (maladies) et on sait qu’en matière de temps il est très compressé. Sans parler du financement (à l’acte) qui ne permet pas que le médecin ait une vision collective. Après les collectivités, pourquoi pas. Moi j’ai un individu intermédiaire : c’est l’Infirmière en pratique avancée (IPA). Pour le champ Alzheimer, une IPA est, je pense, un très bon acteur qui ferait le lien avec l'ensemble des intervenants et qui aurait une vision globale. 

Olivier Guérin : L’aidant est au cœur des mutations de notre système de santé. Un pied sanitaire est désorganisé et n’a pas fait encore son virage culturel, un pied social plutôt efficace notamment avec le travail associatif qui nécessite de la coordination, et le pied psycho, du bien-être mental, qui me paraît plus défaillant dans le champ du vieillissement ne maîtrisant pas très bien les outils pour les personnes âgées.

Anne-Julie Vaillant-Ciszewicz : Je pense qu’il y a un problème de base de formation. Il existe des Masters de géronto-psychologie mais l’approche est encore beaucoup psychanalytique, on aurait besoin de faire un travail complémentaire, notamment sur la consultation fragilité qui je trouve est un très bon moyen notamment pour un stade 0 d’amener en douceur l’aidant à se rendre de sa place, de sortir du déni. Il faut vraiment faire un travail main dans la main. On a des associations exceptionnelles comme France Alzheimer qui emploie des psychologues bien formés et aussi des psychologues cliniciens dans cette approche.

 

Allez plus loin : 
- Consultez le compte-rendu de la 1ère journée des JASFGG 2020 - Actualités COVID-19
- Consultez le compte-rendu de la 2e journée des JASFGG 2020 - Initiation pragmatique à la recherche en gériatrie et gérontologie
- Consultez la rubrique "Agenda"