Cette conférence avait pour thématique "Les relations intergénérationnelles". Un sujet introduit par Martine Vignau, Vice-présidente du CESE et rapporteure de l'avis sur le financement de la perte d'autonomie, et le Pr Françoise Forette, Présidente du Conseil scientifique d'ILC France. Il a ensuite été abordé par François-Xavier Albouy, économiste et Bernard Ennuyer, sociologue. Cette rencontre s'est poursuivie par de riches échanges avec la salle.

Bernard Ennuyer est ingénieur de formation et docteur en sociologie. Il dirige depuis 1978, l'association "Les Amis, Service à domicile”.

J’avais écrit pour la revue de la médiation familiale “Care” (juin 2021) intitulée “Age, générations… sables et mouvants” un article sur la fracture des générations. L’idée était de savoir s’il s’agissait d’un slogan ou d’un risque réel. J’y citais en préambule Bourdieu qui préconisait dans son article “L’art de résister aux paroles” de ne pas parler avec les mots des autres et d’en finir avec les slogans qui, selon lui, sont le degré zéro de la réflexion tout comme les sondages qui fabriquent l’opinion publique de toute pièce.
L’histoire du fossé des générations est assez ancienne, elle remonte aux années 1930 puis est réapparue au début des années 70. En 2002, le sociologue Louis Chauvel écrivait “Le destin des générations” où il parlait d’une génération sacrifiée, la jeunesse. L’économiste Hippolyte d’Albis montrera plus tard que tout le travail de Chauvel était faux. Selon lui, les générations d’aujourd’hui ont plus profité que les anciennes. Le slogan “Les vieux empêchent les jeunes de vivre” est donc erroné.
Alors, y a-t-il une lutte des âges ?
Et puis, qu’est-ce qu’une génération ?
Il y a quatre manières de distinguer une génération : familiale (par rapport à ses parents), démographique (des gens nés au même moment), sociale, politique ou historique (individus du même âge qui ont vécu les mêmes évènements, exemple la Guerre d’Algérie).
L’épidémie de Covid-19 a ceci de spécial qu’elle a touché toutes les générations : les baby boomer, la génération X (60), les Millenium (80), les Y (génération Ipod), les Z Zoomer (fin des années 2000) ou “e-generation”.

Selon Bourdieu, quand on parle de génération on suppose une homogénéité mais ce n’est pas vrai. Il y a des citadins, des ruraux, des décrocheurs, des diplômés, des gens à la fac, des gens avec des parents riches et d’autres avec des parents pauvres. Cette homogénéité est vraie dans toutes les générations.
Il y a donc une confusion entre la notion d'âge et de génération. Aujourd’hui les générations vivent les choses mais ne les vivent pas au même âge. Exemple, l’âge du premier enfant, l’âge du mariage, les années sabbatiques… Il y a un brouillage des âges complet et il n’y a plus de repère dans une même génération.
De plus, il a été démontré que, à l’intérieur d’une génération, il y a plus d’inégalités qu’il n’y en a entre les générations. Je vous invite d’ailleurs à écouter le
discours de Didier Fassin prononcé en 2020 au Collège de France sur l’inégalité des vies.
Il est intéressant de voir que le conflit des générations est ressorti au moment du Covid.
Il faut un bouc émissaire et comme dit Edgar Morin, dans une crise qui nous dépasse tous, les gens qui proposent une idée simpliste sont considérés et accueillis comme des gens intelligents et pertinents auxquels les gens adhèrent.”

François-Xavier Albouy est docteur en économie.

Le conflit des générations c’est plutôt des titres de presse sensationnels et une autre réalité. Moi je trouve qu’on est plutôt dans une période de fixisme. Comme en musique, où la dernière invention remonte à il y a une trentaine d’années avec le rap.
L’hypothèse, au niveau démographique, est qu’il y a toujours des générations pleines qui ont tendance à prendre le pouvoir et des générations creuses. La génération 68 a pris le pouvoir, changé le monde du travail et a profondément modifié le monde des lettres et des arts. La génération des actifs est une génération creuse.
Le conflit des générations est aussi psychologique avec le meurtre symbolique du père : on ne s’oppose qu’en s’opposant !
Aujourd’hui les différences sont très minimes : les générations participent aux mêmes occupations (le climat) ou reprennent des thèmes des générations antérieures (comme les féministes dont le discours n’est pas très différent de celui que tenaient leurs mères et leurs grands-mères).
Je voudrais évoquer également un concept freudien, celui du “narcissisme des petites différences” qui explique les oppositions qui surgissent entre des individus ou des groupes que les tiers considèrent comme identiques ou similaires.
D’autre part, on parle souvent du conflit des générations dans le monde du travail. On s’étonne, dans le monde entier, et on reproche aux jeunes d’être moins engagés, moins motivés, de ne pas entrer avec énergie dans leur carrière. Une enquête aux États-Unis a montré que 49% des managers trouvaient très difficile de travailler avec les génération Z leur reprochant une absence d’efforts et de communication. Le constat était international.
On peut dire que c’est le résultat de la pandémie et de la télétransmission, on peut également corréler ce constat avec la dévalorisation des diplômes.
Un autre constat souvent formulé et que cette génération est dépressive et fragile. Ce sentiment est probablement lié à l’effet du télétravail (pourtant un concept rêvé mais qui laisse les gens un peu seuls sans psychothérapie au quotidien).
Peut-être aussi peut-on expliquer cela par le fait que beaucoup de jeunes ont vu la carrière de leurs parents être détruites et qu’ils n’ont pas voulu reproduire… Ils ont en effet été spectateurs du délitement de la valeur des entreprises, des discours artificiels et des postures construites dont ils sont devenus méfiants.
Mais est-ce que tout cela est véritablement différent de ce que disaient les jeunes dans les années 70 qui remettaient eux aussi en cause la notion de profit (considéré comme le mal absolu) ? Cela n’a pas empêché cette génération de sortir de l' “hippie”.
On peut donc très bien penser que cette génération qui est contre la croissance, alimentera elle aussi cette croissance - sans doute de manière plus verte et responsable. Ce n’est donc sans doute pas la fin du monde, peut-être juste la fin d’un monde.
Un dernier point qui me semble capital : tous ces jeunes ont besoin de plus de formation en début de carrière que leurs aînés. C’est en effet une génération marquée par la crise globale et climatique, par le chômage et la crise.
Enfin, l’idée qui consiste à tenter de mesurer quelle génération a profité ou pas de la vie est une bêtise. On montre du doigt les vieux qui auraient laissé un monde pollué et endetté. Ce sont des fadaises, les vieux sont également beaucoup touchés par la rareté de l’emploi, et/ou par la dépendance soit de leurs parents soit pour eux-mêmes, qui est une charge très lourde qui n’existait pas auparavant (c’est au passage une bonne nouvelle paradoxale de la longévité).
On a tendance également à oublier l’altruisme au sein des familles et la formidable machine à absorber les chocs entre les générations qu’est la famille.

Selon moi, il existe 3 solutions :

  1. Renforcer l’accès à l’éducation et la qualité de l’éducation (un moyen de retrouver la productivité du travail pour absorber le vieillissement)

  2. L’investissement à long terme transgénérationnel (l’idée de l’héritage André Masson qui consiste à imaginer des produits financiers trans générationnels, de placer sur des comptes bloqués pendant 30/40 ans mais transmis sans frais aux petits-enfants) et investis dans l’éducation et la transition écologique

  3. L’imprévoyance : entre 15 et 20 milliards qui manquent au régime de prévoyance

 

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