• Victor Appay, chercheur en immunologie, Directeur de recherche à l’Inserm
    "Altération du système immunitaire et vulnérabilité au cancer chez la personne âgée"

Différents facteurs (intrinsèques, environnementaux, style de vie) vont conduire à un déséquilibre entre la résilience et la vulnérabilité des personnes âgées dans différentes comorbidités dont le cancer. L’inflammation chronique systémique et le vieillissement immunitaire jouent certainement des rôles clefs dans ce processus. La vulnérabilité augmentée des personnes âgées à la COVID-19 est très certainement en partie liée au déclin de la compétence immunitaire dans l’âge avancé. Cela pourrait être la même chose concernant la prévalence du cancer et une baisse de l’« immuno-surveillance anti-tumorale » chez les personnes âgées.

L’ « immuno-surveillance anti-tumorale » : les cellules normales soumises à différents stress peuvent devenir tumorales, ces cellules vont alors générer des signaux de danger et commencer à exprimer à leur surface différents antigènes spécifiques à la tumeur. Ces changements vont conduire à la mise en place d’une réponse immunitaire contre ces cellules tumorales et potentiellement leur élimination. On pense qu’il s’agit d’un mécanisme qui se met en place à tout moment de la vie, et qui se produit sans que l’on ne s’en rende compte. Des cellules importantes parmi les acteurs de la réponse immunitaire sont les lymphocytes T CD8+, qui sont les cibles principales des vaccins et immunothérapies contre les cancers. La capacité d’induction de nouvelles réponses lymphocytaires T CD8+ est la base d’une immuno-surveillance efficace, mais le vieillissement peut avoir un effet négatif sur ce processus.

Que ce soit contre un virus ou une tumeur, l’induction d’une réponse lymphocytaire T CD8+ démarre toujours par l’activation d’une cellule T CD8+ naïve qui va reconnaître un antigène spécifique et se différencier en cellule effectrice/mémoire capable d’éliminer sa cible, tumorale ou infectée. Cependant, les cellules naïves présentent des défauts quantitatifs (c'est-à-dire production et nombre restreints) et qualitatifs (comme le raccourcissement des télomères, altérations métaboliques et fonctionnels) avec l’âge. Et, à l’aide d’un modèle in vitro d’induction d’une réponse lymphocytaire T CD8+, nous avons pu mettre en évidence que la capacité à induire des réponses anti-tumorales (spécifique du mélanome) étaient moindre chez des individus âgés comparés à des individus d’âge moyen. De manière générale, cela reflète une réduction de l’immuno-surveillance tumorale chez les personnes âgées, et potentiellement une vulnérabilité plus grande au cancer.

De nos jours nous essayons en laboratoire d’améliorer l’induction de réponse lymphocytaire T CD8+ à l’aide de différentes molécules ou adjuvants pour corriger les altérations qualitatives des cellules de personnes âgées. On se rend compte qu’il est important de développer des approches thérapeutiques spécifiques pour la personne âgée.

 

 

  • Dr Anne Laure Couderc, gériatre à l'AP-HM
    "Vaccination COVID - Personnes âgées – Cancer"

Les personnes âgées sont les personnes les plus touchées par cette pandémie de la COVID-19 : la mortalité est autour de 30% des patients âgés hospitalisés, particulièrement avec des comorbidités comme le diabète et les maladies cardiovasculaires et en présence de syndromes gériatriques. Le vieillissement du système immunitaire est probablement en cause et notamment le fameux « inflammaging ».

Quand les patients sont atteints de cancer, ils présentent des formes plus graves de COVID-19 également mais aussi un retard de délai dans l’accès aux traitements oncologiques. Certains chercheurs ont mis en évidence des facteurs intrinsèques et des facteurs extrinsèques en cause dans la gravité de la pathologie de la COVID-19 chez les patients atteints de cancer. Le rôle extrinsèque des traitements oncologiques comme la chimiothérapie immunosuppressive est fort probable et le rôle de l’immunothérapie dans le pronostic est encore à prouver bien qu’une récente étude américaine (Robilotti et al, Nature Medicine 2020) nous interpelle sur cette association de l’immunothérapie et des formes sévères respiratoires de la COVID-19.

Une correspondance a été publiée par le bureau de la SoFOG en avril 2020 dans la revue Lancet Oncol 2020 (https://doi.org/10.1016/S1470-2045(20)30229-1) pour éviter un sous-traitement oncologique chez les personnes âgées atteintes d’un cancer pendant la pandémie.

Depuis l’arrivée de la vaccination en janvier 2021, les patients âgés et les patients atteints de cancer sont deux cibles prioritaires. Dès février 2021,  la SOFOG a émis des recommandations en termes de vaccination contre le COVID-19 qui ont été validées par le Conseil d’Orientation de la Stratégie Vaccinale (COSV). Ces recommandations ont pour but d’orienter vers des schémas de vaccination qui doivent s’intercaler avec les traitements oncologiques (éviter les périodes d’aplasie en cas de chimiothérapie) et de vérifier l’absence de contre-indications aux vaccins (allergie à un vaccin, infection à la COVID-19 de moins de 3 mois…)

D’autre part j’aimerais  faire part ici d’une étude  qui est sortie en avril 2021 dans le Lancet Oncol (Monin et al) sur 151 patients atteints d’un cancer (95 patients avaient un cancer solide et 56 avaient une hémopathie) et vaccinés avec BNT162b2 (Pfizer-BioNTech). Les résultats sérologiques à 5 semaines en cas d’une seule injection ne sont pas satisfaisants mais en cas de deuxième boost, les résultats sérologiques sont beaucoup plus encourageants. Les réponses immunitaires des cellules T sont aussi encourageantes en cas de deux doses à 3 semaines d’intervalle. Seuls les patients atteints d’hémopathies ont eu des réponses sérologiques moins satisfaisantes mais avec finalement peu de patients analysés dans ce groupe et donc les conclusions sont difficiles. Les effets secondaires sont principalement des effets secondaires locaux aux points d’injection chez les patients atteints de cancer. 

En conclusion, nous pouvons dire que les personnes âgées atteintes de cancer sont doublement vulnérables face à l’épidémie de COVID-19 et que la vaccination est à encourager dans cette population. Les recommandations émises par la SoFOG en février 2021 sont essentielles. Les résultats dans la littérature sont actuellement encourageants et d’autres travaux seraient utiles afin de voir l’impact de l’âge ou pas sur la réponse immunitaire au vaccin et se pose la question également d’une troisième dose chez certains patients sous traitements oncologiques immunosuppresseurs au vu des dernières recommandations de la HAS du 14/04 puis du 05/05 d’une troisième dose de vaccin à ARNm chez des sujets fragiles (dialyse, greffe, immunosuppression profonde).