Habituellement, lorsque j’interviens dans des congrès internationaux c’est pour montrer des résultats innovants et intéressants et une image positive du Québec. Aujourd’hui je me retrouve à venir présenter des résultats pas vraiment intéressants et peu reluisants. Vous avez été capables d’éviter une hécatombe en France, pas nous et surtout dans les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), l’équivalent de vos EHPAD.

Le Québec a présenté au Canada un triste record : nous avons eu plus de 10 000 décès par COVID, ce qui représente un taux de mortalité 2 fois plus élevé que le Canada. Si on applique le taux de décès observé dans le reste du Canada, on aurait dû en avoir 3000, donc on a eu 7000 morts de trop au Québec chez les personnes âgées, surtout celles qui vivent en milieu collectif. Car c’est dans ces milieux-là qu’est survenue l’hécatombe : 67% des décès lors de la 1ère vague sont survenus dans les CHSLD. Le taux de décès a atteint 10% en EHPAD. Si on compare avec les pires taux européens (Espagne, Italie), c’est 2 fois plus.

Alors pourquoi ?

La situation des établissements d’hébergement avant la crise peut déjà expliquer en partie cette situation. Rappelons que le Québec a un système de soins de type beveridgien et que l’État est le financeur et le gestionnaire unique et qu’il est aussi le prestataire principal. En 2003, une première réforme structurelle a provoqué l’engloutissement des CHSLD dans une structure commune avec l’hôpital sur un territoire local. L’hôpital est donc devenu le centre d’intérêt principal de ces centre de santé et absorbé les budgets, les ressources humaines, etc. En 2015, rebelote : on a décidé de nouvelles réformes de structures : tous les établissements d’une même région ont fusionné et on y a incorporé aussi les centres de réadaptation et les centres jeunesse. Cela a amplifié la marginalisation des CHSLD (au cours des 20 dernières années, le financement des CHSLD a diminué de 14%). Non seulement nous n’avons pas répondu au vieillissement de la population mais on a diminué les financements (et du coup réduction de personnel). Tout cela a dévalorisé le personnel. Nous avons aussi diminué l’encadrement des infirmières et des médecins. Lorsqu’une crise aigüe survient, comme celle du COVID, il n’a plus été possible de soigner adéquatement sur place ces malades. À cela il faut ajouter la vétusté des installations avec des chambres à lits multiples, des salles de bains communes et des problèmes de ventilation.

Au début de la crise, on était déjà en situation de vulnérabilité en CHSLD. Lorsqu’il a fallu libérer des lits d’hôpitaux pour faire face à l’ afflux anticipé de malades COVID, on a transféré les malades vers les CHSLD. On a priorisé les hôpitaux en équipements : pas de masque, de blouse ni de test de dépistage en CHSLD. En plus notre personnel qui est très mobile, a continué à travailler dans plusieurs CHSLD, promenant allègrement le virus d’une installation à une autre.

Pour ajouter « la cerise sur le Sunday » comme on dit au Québec, les autorités ont eu l’idée de supprimer toute visite des proches : or les proches, chez nous, donnent aussi des soins : ils font marcher les résidents, les font manger, etc. On s’est privé d’une main d’œuvre importante dans un contexte de pénurie où le personnel tombait comme des mouches.
Ainsi, nous avons assisté à des histoires d’horreur : des personnes âgées qui mourraient souillées, dénutries, déshydratées, loin de leurs familles, etc.

Ce fut une hécatombe qui, j’ose espérer, nous permettra d’induire des changements nécessaires importants, notamment dans la priorité des services et soins aux personnes âgées.

Si je peux livrer un message en direction de la France, c’est que les EHPAD ont besoin d’une équipe de direction, d’une équipe de gouvernance, d’un directeur médical parce que dans de gros établissements à multiples missions, faire remonter les problèmes dans les strates des directions prend du temps, trop de temps.

 

Une leçon à retenir : il faudrait être capable, à l’avenir, d’arrêter de minuter le temps de soin, de reconnaître les aides soignants, ce qui les valorise, c’est le contact avec les gens, c’est de participer aux diagnostics ; c’est pour ça qu’il faut être capable, non seulement de mieux les payer mais aussi mieux les valoriser. Il faut revenir à des normes d’encadrement des infirmières et des médecins pour être capables de suivre ces patients mais aussi d’intervenir au moment où il y a des crises aiguës. Les hébergements collectifs des personnes âgées sont aussi des milieux de soins : il faut stabiliser les équipes qui y travaillent et arrêter d’encourager la mobilité du personnel.

Au Québec, les personnes âgées plus autonomes choisissent souvent d’aller vivre dans des résidences pour aînés. On leur promet sécurité et accès à des soins en cas de besoin. Dans ces milieux, on a observé tout au long de la pandémie, de nombreuses éclosions et un taux de décès élevé : plus de 2000 décès y ont été dénombrés. Les personnes âgées ont été confinées pendant des mois dans leurs chambres de 10m2 :  il faut arrêter de leur promettre la sécurité. On leur promet des soins mais il n’est pas possible de leur en procurer car ces milieux ont fait appel au réseau public en renfort dans un contexte de pénuries de ressources. Il faut donc essayer de prioriser les soins à domicile une fois pour toutes dans mon pays. L’APA, on n’a pas encore ça. Lorsque j’étais ministre, j’ai tenté de faire adopter la création d’une assurance autonomie mais le projet de loi n’a pu être adopté avant le déclenchement précipité d’une élection.

Cette crise nous a aussi permis de débusquer un âgisme systémique dans la population. Pour une société comme celle du Québec qui deviendra l’une des nations les plus vieilles au monde (25% des personnes de plus de 65 ans dans une décennie), il faut se poser la question du rôle et de la place des personnes âgées et de comment contrer cet âgisme.

J’espère que cette crise et cette hécatombe nous aura au moins permis de réaliser les défaillances de notre système de soins et de prendre conscience de l’âgisme afin de prendre les moyens de renverser cette situation.

 

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