Conduite automobile et troubles cognitifs
Dr Alain Bérard, Paris, Directeur adjoint, référent Plaidoyer, Fondation Médéric Alzheimer

L'opportunité m'est donnée de vous présenter les premiers résultats d'une étude débutée en janvier 2021 avec différents partenaires : la Sécurité routière, la Prévention routière, la CNSA, le groupe de protection sociale IRP Auto, France Alzheimer et d’autres partenaires. Ce projet est toujours en cours. Son objectif était d’aider les personnes malades, les familles, les professionnels de santé (médecins traitants, médecins agréés) et de la conduite automobile (moniteurs auto-école, psychologues), en produisant des données étayées sous forme de préconisations, de conseils pratiques mais également en intégrant les alternatives en matière de mobilité, afin de maintenir l’inclusion des personnes dans la cité, ainsi que leur autonomie. La personne malade doit rester actrice au sein de la cité.

Nous avons commencé par une revue de la littérature. Elle est très abondante sur le thème de la conduite automobile et personnes âgées, mais elle est nettement moins importante lorsque l’on s’intéresse à la partie de la population qui a des troubles neurocognitifs liés à une maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée (MAMA). De façon générale, dans les pays concernés par cette recherche, les séniors sont peu impliqués dans les accidents mortels, contrairement à l’image que l’on peut avoir.  Autre point important, l’examen médical obligatoire à partir d’un certain âge mis en place dans certains pays n’a pas démontré son efficacité. Par ailleurs, plusieurs pays, comme le Japon (macaron distinctif appliqué sur la voiture), ont mis en place des expériences pour accompagner les séniors dans la conduite automobile, qui dans les faits se sont révélées très stigmatisantes et peu utilisées par les séniors. Autre constat, celui de l’absence d’outils simples et consensuels pour repérer de manière précise les personnes qui sont à risque et auxquelles on pourrait apporter des conseils et un accompagnement. Enfin, la formation des professionnels de la conduite concernant le sujet des troubles cognitifs est insuffisante. Le point important émergeant de cette revue de la littérature est que l’âge n’est pas un motif suffisant pour arrêter de conduire. Ce sont l’aptitude à la conduite, la santé et les capacités cognitives du conducteur qui doivent être prises en compte.

 

Les enquêtes

Nous avons mené avec l’Institut de sondage BVA en 2021, une enquête qualitative et une enquête quantitative.

L’enquête qualitative comporte plusieurs volets. Le premier comporte 20 entretiens téléphoniques : 10 auprès de personnes malades d’une durée de 25 à 50 minutes, 10 auprès d’aidants d’une durée d’une heure. Deux focus groupes ont été réalisés auprès de personnes âgées de 75 ans et plus comprenant deux sous populations ; ceux qui conduisent encore et ceux qui ont récemment arrêté de conduire. Enfin, 20 entretiens d'une durée d’une heure environ ont été menés auprès de médecins agréés de la commission du permis, de médecins traitant, des psychologues qui font passer les tests psychotechniques, de moniteurs d'auto-école qui font les audits de la conduite.

Au cours du deuxième semestre 2021, nous avons mis en place une étude quantitative. Cette dernière comprenait un volet seniors et aidants qui regroupait un panel de 700 personnes âgées de 75 ans et plus, et un second panel de 500 aidants âgés de 40 ans et plus (dont 243 aidants de personnes qui ont la maladie d'Alzheimer). Un deuxième volet portait spécifiquement sur la maladie d'Alzheimer avec un groupe de 139 personnes malades. En 2022, nous avons mené une enquête avec IRP Auto, à laquelle ont répondu 5930 personnes âgées de 70 ans et plus. Les données sont en cours d’analyse.

 

Les enseignements de ces enquêtes

Le premier résultat est le constat d’un fort déni des difficultés que l'on retrouve aussi bien chez la personne malade que chez les conjoints. Dans 90 % des cas, les personnes malades conductrices déclarent être à l’aise pour conduire leur voiture et la conduisent de manière très régulière, au moins une fois par semaine. Seules 33 % des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et conductrices envisagent d’arrêter de conduire, et seulement 8 % dans les 6 prochains mois. Ce déni très fort est souvent partagé par les conjoints qui minimisent ou compensent les difficultés en servant de guide, de soutien, tandis que les proches extérieurs au couple constatent les manquements. Une des explications probables est que la personne malade est la principale personne qui conduit, permettant la mobilité intrafamiliale. Si cette personne arrêtait de conduire, les conjoints auraient plus de difficultés à exercer leurs activités habituelles.

Le renoncement, la décision d'arrêter de conduire n'est pas prise de la même manière si on est chez les seniors ou si on est chez des personnes malades. Chez les seniors, âgés de 75 ans et plus, la décision est prise de façon volontaire dans 82 % des cas. C'est tout l'inverse chez les personnes malades puisque dans 76 % des cas, cette décision est imposée par la famille. Une autre caractéristique lorsque l’on fait la comparaison entre les seniors et les personnes malades, est que la majorité des seniors (non malades), soit 90 %, continue à conduire en mettant en place l’autorégulation (éviter de conduire la nuit, éviter d’emprunter des chemins comportant des ronds-points, éviter les trajets trop longs, changer de voiture pour un véhicule plus petit et plus simple à conduire en milieu urbain…). On retrouve cette autorégulation dans la population qui a la maladie d'Alzheimer dans 74 % des cas, mais cette adaptation à la conduite est vite dépassée. Dans notre étude, seulement 26 % des personnes malades conduisaient encore au moment de l’enquête.

L’arrêt de la conduite est une décision unilatérale. Seules 24 % des personnes atteintes de troubles cognitifs ont pris cette décision en toute autonomie ; 24 % également des personnes malades prennent cette décision en concertation avec leur famille. Dans les autres cas, ce choix est imposé par la famille. Les résultats de cette étude montrent que ce sont les successions d’incidents autour de la voiture qui déclenchent le processus décisionnel pour les proches vers la fin de la conduite. Les évènements plus graves sont plus rares : seules 15 % des personnes malades ont eu un accident ayant entraîné un constat et seulement 10 % ont commis une infraction ayant entraîné une amende dans les 6 mois précédent l’arrêt de la conduite.

La décision de l’arrêt de la conduite est mal vécue par une majorité de personnes malades (58 %). Elle est mal vécue également par les familles qui, dans 23 % des cas, en viennent à trouver des stratégies (cacher les clefs, débrancher la batterie, prêt de la voiture à une proche, simulation de vols…) empêchant la conduite, mais entrainant une très forte culpabilité. Les familles se sentent dans l’obligation de le faire. Cependant, lorsque l’on interroge les aidants, 95 % des proches ont pourtant l’impression de soutenir les personnes malades dans ce renoncement à la conduite.

Le médecin généraliste est un professionnel important. Il pourrait jouer un plus grand rôle dans l’accompagnement vers la fin de la conduite. Dans 55 % des cas, les personnes malades ne se sont pas senties soutenues par leur médecin au moment de l’arrêt de la conduite. De la même façon, 38 % des aidants et 23 % des personnes malades aimeraient que le médecin traitant prenne cette décision. Quand on interroge les médecins, ils ne se sentent pas être une figure d'autorité, c'est-à-dire une personne qui prend la décision et la responsabilité de l'arrêt de la conduite. Par ailleurs, ils disent dans cette étude qu'ils n'ont pas les outils qui vont permettre d'évaluer et d'accompagner.

Le parcours vers l'arrêt de la conduite automobile est essentiellement intrafamiliale. C'est la famille qui prend la décision. Le parcours officiel, c'est-à-dire avec le médecin agréé, la commission du permis, la commission médicale, est très rarement emprunté (2 % des cas). 1 % des personnes malades passe la visite médicale du permis de conduire, et la commission médicale n'intervient que dans 1 % des cas ; ce qui représente un nombre très faible de situations. Cependant, les familles expriment leur souhait qu’une tierce personne prenne la responsabilité de la décision de l'arrêt ; 18 % des aidants aurait souhaité que cette décision soit prise par le médecin agréé.

Les accompagnements pour maintenir une conduite sécurisée existent ! Ils sont insuffisamment connus et par conséquent peu exploités. De nombreuses réunions et conférences sont organisées par la mairie, la police, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la Prévention routière, la Sécurité routière, France Alzheimer, IRP Auto… Cependant, seules 12 % des personnes malades y ont participé. De la même manière, seules 8 % des personnes malades ont participé à des stages de conduite automobile avec un moniteur pour se perfectionner. Enfin, seules 5 % des personnes malades ont participé à des stages de récupération de points.

L’arrêt de la conduite a un retentissement dans la vie de 37 % des personnes malades. Cela correspond à l’arrêt des activités culturelles, sociales, familiales… moins de sorties (restaurants, amis, famille…) et peut conduire vers la désocialisation voire l’isolement social avec les conséquences qu’on lui connaît.

Les solutions existent pour compenser l’arrêt de la conduite mais elles sont sous-exploitées et peu connues. Le co-voiturage avec un proche représente l’une d’entre elles et le premier représenté dans notre étude. En effet, 85 % des personnes malades y ont recours au moins une fois par mois et 55 % au moins une fois par semaine. Concernant la marche à pied, 78 % des personnes malades y ont recours au moins une fois par mois et 56 % au moins une fois par semaine. Les transports collectifs semblent efficients en milieu urbain mais nettement moins en milieu rural ; 60 % des personnes interrogées ont précisé ne jamais emprunter ces moyens de transport. Par ailleurs, il existe des services d’aides tels que des accompagnateurs pour des activités (courses, coiffeur, médecin, famille…) qui sont sous-exploités puisqu’ils ne sont utilisés que par 29 % des personnes malades. Enfin, 27 % des personnes malades et 16 % des séniors non conducteurs utilisent les services de livraison de courses à domicile, même si 70 % savent que ces livraisons sont proposées de manière gratuite. Plusieurs raisons peuvent être évoquées : Internet c'est compliqué, payer par carte bancaire c'est compliqué et risqué…

 

 

Conduite automobile et maladie de Parkinson
Pr Philippe Damier, CHU de Nantes

Peut-on conduire avec une maladie de Parkinson ? Nous nous intéressons à cette problématique depuis les arrêtés récents, car auparavant la maladie de Parkinson (MP) n’apparaissait pas de façon explicite dans les textes de loi. Dans cette maladie, il y a bien entendu des problèmes de coordination neurologique et l’usage de médicaments susceptibles d’entraîner de la somnolence qui figuraient dans les textes législatifs relatifs à la conduite. Mais en pratique, la question était abordée avec les patients uniquement lorsque la conduite nous paraissait dangereuse. La situation a évolué. Sous l’égide de la Société Française de Neurologie, un groupe de travail est en cours de constitution. Nous n’avons pas encore de recommandations aussi avancées que celles de nos collègues vis à vis de la maladie d'Alzheimer, mais nous allons décrire les principaux points de vigilance et d’évaluation à effectuer pour apprécier l’aptitude à la conduite dans le cadre de cette maladie.

Quelques bases sur les fonctions cérébrales impliquées dans la conduite automobile

La conduite automobile est une tâche cognitive complexe qui nécessite de prendre des décisions rapides dans un environnement changeant. Beaucoup d’éléments sont mobilisés dans le cerveau : les capacités de perception et d'attention, mais également les capacités d'appréhension visuo spatiale et, ce qui va nous intéresser tout particulièrement dans le cas de la MP, les fonctions exécutives pour la prise de décisions avec des vitesses de traitement adaptées ; il ne faut pas oublier enfin les émotions (peur, énervement…) qui sont toujours présentes lors de la conduite et qui peuvent moduler le comportement de façon plus ou moins appropriée.

Prise de décision, adaptation au contexte des vitesses d'exécution et flexibilité vont mettre en jeu les fameux noyaux gris centraux (NGC) et leurs connections avec le lobe frontal entre autres. Ces NGC ont un rôle majeur dans l’apprentissage et la régulation de nos comportements automatiques. C’est grâce à eux que nous avons appris à parler ou à marcher, et pouvons à présent le faire de façon automatique, “sans y penser”, mais en étant capable d’adapter ces comportements en fonction du contexte. Il en va de même pour la conduite automobile ; nous l’avons apprise grâce à nos NGC. Par la répétition un grand nombre de fois, de tout ce qui est nécessaire pour conduire de façon adaptée, par l’enchaînement de réussites et d’erreurs, nous avons progressivement intégré les programmes nécessaires à cette tâche complexe. Une fois apprise, elle est devenu un automatisme qui nous permet de conduire quasiment sans penser que l'on conduit, ce qui permet de libérer nos capacités attention elles pour observer tout ce qui se passe sur la route et être capable d'ajuster notre comportement d'une seconde à l'autre s'il se passe quelque chose d'imprévu. Pour que cela fonctionne bien, un neurotransmetteur joue un rôle déterminant : la dopamine. Or, dès qu’une personne est atteinte par la MP, son cerveau va souffrir d'un manque de dopamine, ce qui va avoir un impact direct sur la gestion des comportements automatiques. La maladie de Parkinson est la maladie de la mémoire motrice ! La conduite automobile est par conséquent impactée par le déficit en dopamine cérébrale. Fort heureusement, dans cette maladie, il existe des traitements symptomatiques efficaces qui vont permettre de corriger le déficit en dopamine et donc ses conséquences. Mais, nous allons voir que cela ne règle pas tout : les traitements ne sont pas efficaces 24 heures sur 24, et ils ont des effets indésirables qui peuvent aussi perturber la conduite (somnolence, émotions, impulsivité…).

 

La maladie de Parkinson dans les faits, les chiffres de l’accidentologie

Dans les faits, on observe en accidentologie deux pics d’incidence d’âge pour les personnes tuées sur la route : les personnes âgées de 20 à 24 ans et après l’âge de 80 ans (ONISR, données définitives 2020, séries labellisées). Chez les personnes âgées, l’essentiel de ces accidents mortels est expliqué par la présence de processus neurodégénératifs, qu'ils soient à conséquence cognitive ou motrice, et par la présence de lésions vasculaires cérébrales. Dans le cadre de la MP, le risque d'accident est clairement augmenté par rapport à la population générale. Certaines études ont montré que ce risque est plus important que dans la maladie d’Alzheimer (Friedland et al., 1998; Car et al., 2000; Dubinsky et al., 1991).

Lorsque nous regardons ce qui se passe en situation de test en ayant recours à des simulateurs de conduite ou en conduite accompagnée, nous constatons que les patients atteints de MP font des erreurs de stratégie, de mauvais choix, ou des erreurs de trajectoires. Ils ont ainsi souvent tendance à ne pas respecter les lignes blanches. Il existe aussi d’importantes difficultés attentionnelles (Thomson et al., 2018). Une nette aggravation du nombre d’erreurs de conduite est observée après 2 ans d’évolution de la maladie (Uc et al., 2017).

Dans la MP, nous disposons de traitements symptomatiques efficaces. Les traitements médicamenteux comprennent principalement la dopa qui permet de rapporter au cerveau la dopamine qui lui manque, et les agonistes dopaminergiques qui vont mimer les effets de la dopamine en se fixant sur les récepteurs à la dopamine.

Le problème avec ces traitements, c'est que nous allons nous heurter assez rapidement à des fluctuations de leur efficacité. En début de maladie, quel que soit le traitement pris, les symptômes vont être presque totalement corrigés 24 heures sur 24. Mais assez vite, nous allons voir apparaître des fluctuations d'efficacité avec des moments où le traitement agit correctement (la personne est tout à fait normale dans son fonctionnement) et des périodes où le traitement est moins efficace. Dans ces périodes de déficit en dopamine cérébrale, le temps de réaction augmente nettement et les difficultés d'adaptation à la conduite sont présentes. A l'opposé, il peut parfois exister des états de sur-stimulation dopaminergique : ils s'accompagnent sur le plan moteur de dyskinésies (des mouvements anormaux involontaires) mais aussi d'un état d'excitation psychique et d’une moindre attention…

 

L’impact des fluctuations d’efficacité du traitement anti-parkinsonien

Le premier élément à analyser chez une personne atteinte de MP est de connaître son niveau de réponse aux traitements. Lorsqu’un patient est en début de maladie et qu’il a une parfaite réponse aux traitements symptomatiques, qu’il prend correctement son traitement, et qu’il n’y a pas de claires fluctuations d'efficacité, nous pouvons considérer que la conduite automobile s'effectue dans des conditions de sécurité acceptables. Il est donc nécessaire d’analyser précisément les fluctuations d’efficacité des traitements à la recherche de périodes de sous correction dopaminergique. Elles sont souvent simples à identifier lorsque la personne rapporte la survenue de symptômes parkinsoniens (tremblements, lenteurs ou raideurs) dans la journée. Mais même dans des situations d'insuffisance dopaminergique peu marquée avec peu de symptômes neurologiques manifestes, le temps de réaction peut être rapidement augmenté. Il faut rechercher l’existence ou non de dyskinésies, d’états d'hyper-excitation psychique et de trouble attentionnel qui risquent d’avoir un impact sur les capacités de conduite. Il faut également se poser la question de la prédictibilité de ces périodes de sous-correction et de sur-correction dopaminergique. Ainsi, la conduite peut être considérée comme raisonnable dans les périodes où l’effet du traitement est optimal. C’est donc le premier point à évaluer chez les personnes atteintes de MP. Il faut obtenir les éléments de réponses aux deux questions suivantes : existe-t-il des fluctuations d'efficacité du traitement ? Quel est le niveau d'efficacité du traitement dans les phases d’efficacité du traitement ?

 

L’impact des effets indésirables du traitement

Le deuxième point de vigilance concerne la possible présence d’effets indésirables des traitements anti-parkinsoniens susceptibles de gêner la conduite automobile. Les deux principaux éléments qui posent problème sont la somnolence et les troubles du contrôle des impulsions. Tous les médicaments anti-parkinsoniens peuvent entraîner de la somnolence. L’effet est plus marqué avec les agonistes dopaminergiques que la dopa ; ils peuvent même provoquer des attaques de sommeil. Dans ce dernier cas, comme dans la narcolepsie, les personnes peuvent s’endormir d’une seconde à l’autre sans signe avant-coureur. C’est une source non rare d’accidents de la route dans la MP. Ces attaques de sommeil ont été mises en évidence avec l'arrivée des nouveaux agonistes dopaminergiques, à la fois parce qu'ils étaient davantage prescrits et à la fois parce qu’ils étaient plus surveillés ! Donc, dès lors qu'on débute un traitement anti-parkinsonien et encore plus un agoniste dopaminergique, il faut prévenir les patients d’être vigilants sur le risque de somnolence et d'attaque de sommeil, en particulière à l’initiation du traitement et à chaque augmentation posologique. Le trouble de contrôle des impulsions constitue un autre effet indésirable un peu particulier des agonistes dopaminergiques : les personnes développent des pulsions à acheter, à jouer, ou présentes des modifications de comportement sexuel… Dans ces états-là, il y a souvent une impulsivité comportementale qui peut poser des problèmes en situation de conduite. Ce type d'effet indésirable peut s’accompagner de pulsions d’envie de conduire, de conduire parfois très vite, ce qui peut poser des problèmes sur la route...

Plusieurs outils permettent de détecter ces effets indésirables. Pour la somnolence, l'échelle d’Epworth est utile et simple à renseigner (Johns, 1991). Elle détermine les situations au cours desquelles il y a endormissement spontané. Pour les troubles de contrôle des impulsions, il existe plusieurs échelles : l'échelle Quip-RS, assez récente, qui est spécifique mais un peu longue à remplir (Weintraub et al., 2012) ; et l’échelle d’Ardouin, développée par nos collègues de Grenoble (Ardouin et al., 2009), assez simple pour détecter des critères qui suggèrent la présence de troubles de contrôle des impulsions, un comportement sexuel modifié, une addiction au jeu, une impulsivité...

 

L’impact du développement d’une atteinte cognitive

Le troisième élément à prendre en considération est que la MP ne reste pas, chez la plupart des personnes, qu'une maladie motrice, qu'un problème de déficit en dopamine. Le processus dégénératif va en effet avoir tendance à diffuser vers d’autres structures cérébrales ou se combiner à d’autres processus dégénératif lié à l’âge ou à des lésions vasculaires. Sur le plan clinique, deux phénotypes peuvent de façon schématique être différenciés. Le phénotype frontal, avec un syndrome dysexécutif et des difficultés attentionnelles, peut rester longtemps méconnu s’il n’est pas recherché. Il est en effet au niveau fonctionnel à l’origine surtout d’une apathie, avec des personnes qui au final ne posent pas trop de problèmes au quotidien pour l'entourage. Le phénotype de synucléopathie diffuse comporte des atteintes à prédominance pariéto-occipitale : il se rapproche du phénotype bien connu de la maladie à corps de Léwy diffus. Ces personnes ont en particulier des difficultés visuo-spatiales. Il y a généralement de la confusion, des hallucinations ou des troubles de vigilance qui rendent le diagnostic aisé.

En termes de tests et de détection, on va retrouver des outils déjà évoqués dans la maladie d'Alzheimer et les maladies dégénératives avec troubles cognitifs. Trois tests sont plus particulièrement adaptés dans le cadre d'une MP. Le TMT, et en particulier le TMT B : il évalue l’attention, la vitesse de traitement cognitif et la flexibilité mentale. Le test du labyrinthe, ou Maze test, chronométré et standardisé, permet d'évaluer des fonctions de planification, de vitesse de traitement cognitif et des fonctions visuo-spatiales. La mesure de la fluence verbale est un test sensible pour détecter une dysfonction frontale débutante dans cette maladie comme dans d'autres. Il existe aussi les outils d'évaluation cognitive globale, comme la MoCA principalement. Mais avec un haut niveau socio-culturel les personnes peuvent garder longtemps des résultats corrects à ce test alors qu'ils ont d'authentiques dysfonctions cognitives qui peuvent poser problème pour la conduite.

 

La maladie de Parkinson dans l’arrêté du 28 mars 2022

Depuis cet arrêté, nous n’avons plus le choix. Nous devons nous intéresser à la conduite des personnes atteintes de MP puisque la maladie est citée en tant que telle, dans la partie qui concerne “les autres troubles neurologiques”. L’arrêté stipule une incompatibilité médicale jusqu'à avis spécialisé et bilan ; une compatibilité temporaire ou définitive, ou une incompatibilité définitive en fonction du diagnostic et du bilan. Cela signifie que tous les patients ayant une MP, dès le diagnostic posé, n’ont plus le droit de conduire.

Nous sommes encore loin d'en parler systématiquement lors de l'annonce du diagnostic. En effet, l’annonce de MP représente déjà un moment difficile pour la personne qui ne s'attend pas toujours au diagnostic. Il faut annoncer le diagnostic, évoquer les traitements et leurs effets indésirables notamment psycho-affectifs prévisibles, les troubles du sommeil, les troubles cognitifs des pathologies neuro-évolutives, les troubles psychiatriques comme le trouble de contrôle des impulsions….

En pratique, nous devons informer précocement la personne et ses accompagnants. A défaut de le faire dès la première consultation, le sujet est à aborder dès les consultations suivantes. Il faut rappeler la loi et les démarches à accomplir. De plus, depuis la jurisprudence de la Cour de cassation de 1997, il y a la nécessité pour le médecin de faire la preuve de l’information qui a été faite au patient. Les informations données doivent donc être clairement tracée dans le dossier médical.

A Nantes, nous avons élaboré un livret sur « Maladie de Parkinson et conduite automobile » pour aider les professionnels de santé et les accompagner dans l’information qu’ils peuvent apporter sur ce sujet aux patients (Annexe 1). Ce livret propose un premier temps d'explication et de sensibilisation aux problèmes associés à la conduite automobile chez les personnes ayant une MP. Nous utilisons en particulier une échelle canadienne qui permet de détecter des situations à risque liées à la conduite, ce qui permet de sensibiliser la personne ou ses accompagnants que la conduite n’est plus aussi simple qu’avant la maladie. Nous rappelons également les textes de loi et des assurances. En effet, les assureurs précisent explicitement que s’ils ne sont pas tenus informés d'une modification de l’état de santé d’une personne, ils ne sont plus en obligation de les couvrir. Au Canada, il y a eu déjà au moins un cas où suite à un accident, les assurances ont décidé de ne pas prendre en charge la personne incriminée qui était malade ; personne qui s'est alors retournée vers le médecin qui ne l'avait pas informée. Nous expliquons également dans ce livret les démarches pratiques, comme les moyens de contacter la préfecture pour avoir les coordonnées des médecins agréés de la commission du permis de conduire. Nous délivrons également quelques informations sur les alternatives à la conduite. Mais il est vrai que dans les régions rurales comme les Pays-de-Loire et au-delà, ce n'est pas toujours simple pour une personne isolée ou avec un conjoint qui ne conduit plus, d'arrêter de conduire.

 

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