Le gouvernement a publié le 28 mars dernier, dans le Journal Officiel, un arrêté sur la conduite automobile et les patients ayant des troubles cognitifs. Cet arrêté suscite la contestation de la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie), la FCM (Fédération des Centres Mémoire), de France Alzheimer et maladies apparentées et de l’Association Old’Up qui dénoncent « une décision inique, arbitraire, discriminante et liberticide ».

 

Un outil d’évaluation obsolète

 

            La liste des pathologies et infections n'avait pas été mise à jour depuis 2005 : elle l'est désormais avec un changement de taille qui concerne les personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer. Certaines d'entre elles ne pourront plus conduire dès qu'un "doute subsiste sur la nature du trouble", et dès que le stade 3 sur l'échelle de Reisberg est atteint, précise l’arrêté. Selon le texte, les "troubles cognitifs des pathologies neuro-évolutives du type maladie d'Alzheimer et apparentées (MAMA)" présentent une "incompatibilité" définitive avec le fait de conduire.

Si l’idée d’un tel arrêté de mieux encadrer la conduite automobile des patients est louable, la démarche est contestable et l’outil auquel cet arrêté fait référence est largement discutable. « On ne peut pas réduire une décision si importante à un score et encore moins quand ce score, en l’occurrence l’échelle de Reisberg, n’est plus utilisé en gériatrie depuis 20 ans pour mesurer quoi que ce soit ! » s’indigne le Pr Nathalie Salles, médecin gériatre au CHU de Bordeaux et Présidente de la SFGG.

 

Un « préjudice énorme » pour les patients, les aidants et les professionnels de santé

 

En plus d’avoir pour conséquence de faire fuir les patients de l’évaluation gériatrique et neurologique et donc de retarder le diagnostic de la maladie d’Alzheimer (quel patient souhaitera venir consulter dès les premiers signes de la maladie si le couperet, implacable et irréversible, le privera de la conduite ?), cet arrêté a provoqué et provoquera des dégâts collatéraux que la Délégation à la Sécurité Routière (DSR) a sous-estimés. Rupture de confiance entre le médecin et son patient (avec cette idée que le médecin qui agit le fait en tant que censeur), stigmatisation des personnes malades, discrimination sociale, amalgame entre performance et dangerosité, amalgame entre une pathologie et une population, etc. : les conséquences sont nombreuses et désastreuses.

« La crise sanitaire a montré que le lien social était crucial chez les patients âgés et que les en priver conduisait à les faire mourir à petit feu. Interdire la conduite sans les consulter revient en plus à les déposséder et à les déconsidérer car la voiture est souvent le dernier lien entre la personne âgée et la société » s’insurge Marie-Françoise Fuchs, Présidente d’Honneur de l’Association Old’Up.

« Ma grande crainte est de priver les personnes concernées de mobilité. De nombreuses études ont démontré les liens entre l’arrêt de la conduite automobile et l’aggravation de l’isolement social et l’entrée en dépendance » poursuit Benoît Durand, Directeur Délégué de l’Association France Alzheimer et maladies apparentées. « Je trouve que cette décision qui a été prise illustre une méconnaissance et presque un mépris par rapport aux professionnels et associations qui accompagnent au quotidien les patients ayant des troubles cognitifs ».

 

Des groupes de travail qui n’ont pas encore rendu leurs conclusions

 

De nombreux groupes de travail réunissant des chercheurs et des experts à l’échelle nationale (notamment ceux de la Fondation Médéric Alzheimer, France Alzheimer et maladies apparentées, la Fédération des Centres Mémoire et le Gérontopôle Aura) travaillent sur le sujet de la sécurité routière depuis de nombreux mois. Ils ont pour objectif de répondre à cette question si complexe qui ne peut se résumer au simple résultat d’un score d’une échelle. Leurs conclusions n’ont pas encore été rendues alors qu’elles permettront d’envisager des mesures adaptées et respectueuses de l’ensemble des parties prenantes.

 Cet arrêté a été publié de façon trop précipitée. « Il faut absolument passer par une évaluation pluri-professionnelle, interdisciplinaire et personnalisée avant toute décision d’incompatibilité à la conduite. En effet, c’est l’objectif du groupe de travail en cours mené sous l’égide de la FCM missionnée par la Délégation à la Sécurité Routière (DSR) depuis septembre 2021 que nous tenons à poursuivre pour pouvoir, de manière concertée, apporter un avis éclairé et cohérent à cette question si cruciale » rappelle haut et fort le Pr Maria Soto, médecin gériatre au CHU de Toulouse et Présidente de la FCM. « La publication de cet arrêté nous a tous pris de court et outrepasse, de façon incompréhensible, les groupes de travail qui œuvrent sur le sujet et dont on attend les conclusions » poursuit le Pr Nathalie Salles.

Il est enfin important de rappeler qu’à ce jour aucune étude n’a montré le caractère accidentogène des personnes qui conduisent et présentent des troubles cognitifs. « Cela fait plus de plus de 15 ans que l’on travaille sur le sujet et pour l’instant aucune preuve n’a pu être établie sur le lien entre un score d’échelle et la dangerosité d’un patient au volant » (source).

 

La SFGG, la FCM, France Alzheimer et l’Association Old’Up appellent à une réflexion collective avec la DSR qui a déjà manifesté son accord pour faire évoluer l’arrêté et reprendre les travaux tous ensemble.

 

Les associations :

La Fédération des Centres Mémoire (FCM) fédère 28 Centres Mémoire de Ressources et de Recherche et représentent plus de 400 équipes de consultation mémoire.

La Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG) regroupe 3000 gériatres et gérontologues en France.

France Alzheimer et maladies apparentées est une association nationale de familles reconnue d'utilité publique dans le domaine de la maladie d'Alzheimer et des maladies apparentées.

L’Association Old’Up dont le slogan est ”plus si jeunes, mais pas si vieux” s’adresse à ceux qui appartiennent à la génération des 70 ans et plus.