Mise à jour : la Guadeloupe et la Martinique ont durci les conditions d'entrée sur leur territoire (le 18 janvier) Les voyageurs arrivant sur les deux îles doivent à partir de ce lundi respecter un isolement de sept jours et présenter un test PCR négatif. Objectif : éviter l'arrivée du variant anglais.
Entretien avec le Dr Jean-Luc Fanon, gériatre au CHU de la Martinique et membre du comité scientifique ARS-MARTINIQUE de la cellule COVID.
Point épidémio-régional Martinique - 8 janvier 2021
Quelques chiffres sur l’épidémie de COVID-19 en Martinique (chiffres 8 janvier 2021)
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- 6227 personnes testées positives depuis le début de l’épidémie en Mars 2019 pour 120 000 tests
- Très peu de tension sanitaire : les hospitalisations pour COVID sont en diminution (3 en réanimation, 16 hospitalisés), peu de passage aux urgences, 4 la dernière semaine (-1% de passage aux urgences pour suspicion COVID) et pour les médecins généralistes (consultation -2%)
- 89 nouveaux patients positifs cette semaine sur 4932 tests
- Au 8 janvier, le R effectif calculé à partir des données virologiques des 7 derniers jours était significativement supérieur à 1 : 1,29 (1,04-1,57).
- Taux de positivité à 1,8% (1,7% semaine précédente) nombre personnes détectées/nombre de tests, < au seuil de vigilance, stable depuis 6 semaines consécutives
- Taux d’incidence 25/100 000 personnes positives au COVID (en augmentation/ semaine précédente 12) < seuil d’alerte depuis 6 semaines • L’incidence la +élevée est enregistrée chez les 15-44 et encore plus chez les moins de 15 ans
- Son augmentation liée au recours plus important du dépistage du fait du regroupement familial à l’occasion des fêtes, mais ont pu être prélevées en France et recensées en Martinique car il s’agit de leur lieu de résidence qui est relevé dans SIDEP
- 17 patients hospitalisés dont 4 en réanimation
- 43 décès (0 mort dans les EHPAD)
- Une tendance stable de l’épidémie, circulation du virus en diminution, touchant les 15-44 ans
- Mais la Martinique reste classée au niveau de vulnérabilité élevée
Ces chiffres montrent que la Martinique a été relativement épargnée par l’épidémie ?
« Oui en effet. En tout depuis le début de l’épidémie il y a eu 44 morts en Martinique rapportés au virus dont un certain nombre sont des guadeloupéens ou des guyanais qui avaient été transportés sur l’île compte tenu du fait que nous avons été peu impactés. En tout, 6184 cas de l’épidémie sur 380 000 habitants. Depuis 6 semaines nous sommes en dessous du seuil de vigilance. Nous n’avons jamais connu de tension sur le secteur sanitaire. »
Les contaminations sont-elles liées aux voyageurs ?
"Non. Contrairement à ce qui a cours sur les réseaux sociaux et ce qui a pu se dire, les contaminations ne sont pas liées aux voyageurs (parce que systématiquement un test PCR est requis). Le virus qui circule en Martinique est bien un virus autochtone.
On a beaucoup stigmatisé la venue des touristes mais pour l’instant les voyages entre la métropole et la Martinique liés aux fêtes de fin de d’année n’ont pas provoqué d’augmentation des contaminations. Moins de 1% des tests positifs sont rapportés aux voyageurs."
Le mode de vie martiniquais a t-il eu un impact sur la transmission du virus ?
« Les personnes de plus de 50 ans ont bien respecté les gestes barrières et le port du masque, moins les jeunes, ce qui explique que les personnes infectées en Martinique soient plutôt des jeunes (développant des formes asymptomatiques). Ici, il n’y a pas de couvre-feu, les restaurants sont ouverts, les regroupements ne sont pas autorisés, mais ont néanmoins lieu, notamment lors des traditionnels « Chanté Nowel » - de novembre à décembre, où familles et amis se regroupent dans les maisons pour chanter ensemble et durant toute la nuit les cantiques de Noël. Ces regroupements étaient proscrits par les mesures barrières mais respectés de manière peu rigoureuse. Pour autant les infections à la COVID-19 n’ont pas flambé pour le moment.
Ensuite il faut savoir que la principale cause de contamination en Martinique fut probablement les croisières maritimes au départ de Fort-de-France, très prisées aux Antilles. Beaucoup de voyageurs martiniquais ont profité d’une opération de promotion organisée par Costa Croisières aux mois de février-mars lors de la 1ère vague, à l’origine de la plupart des contaminations ».
Comment expliquer cette faible circulation du virus en Martinique ?
Il y a plusieurs raisons à cela :
- Le confinement commencé en même temps que la métropole (avec des mesures limitant de manière drastique les voyages aériens - plus que 2 vols par semaine vers la Martinique alors qu’aujourd’hui atterrissent cinq gros porteurs par jour) a eu des effets bénéfiques sur la circulation du virus ;
- Dès le début du confinement, la Martinique a imposé la réalisation d’un test de dépistage, conditionnant l’embarquement vers les Antilles avant de prendre l’avion ;
- La température : il a été démontré que le virus circule moins bien quand il fait chaud (il est moins résistant).
- Par ailleurs, tout est aéré en Martinique, les maisons sont ouvertes, tout se passe en extérieur.
Comment s’est organisée la gériatrie en Martinique depuis le début de cette épidémie ?
« De la même manière que dans la métropole. Le paradoxe c’est que nous avons aussi appliqué à notre hôpital les recommandations nationales. Nous avons annulé tous les rendez-vous, déprogrammé toutes les opérations non-urgentes et nous avons ouvert des services COVID qui sont restés quasiment vides.
73% des hospitalisés avaient plus de 60 ans.
Nous ne déplorons aucun décès dans les EHPAD, seules 6 résidents depuis le début de l’épidémie ont été dépistés positifs.
Malgré la faible circulation du virus, la Martinique reste classée à un taux de vulnérabilité élevé."
La campagne de vaccination en Martinique
- La campagne de vaccination a commencé le jeudi 7 janvier en Martinique chez les résidents d'EPHAD et USLD, le personnel de ces structures, ainsi que les soignants et les pompiers de plus de 50 ans.
- Durant la première phase de vaccination qui devrait durer 6 à 8 semaines à partir de mi-janvier, les 35 EHPAD de l'île et les 3 USLD (Unités de soins longue durée) seront progressivement alimentés en vaccins.
- Un premier centre de vaccination consacré au personnel soignant de plus de 50 ans a déjà été mis en place au CHU de Martinique, et deux autres centres associant l'hôpital et la médecine de ville devraient ouvrir dans les jours qui viennent. Au total 3 centres de vaccination devraient être ouverts sur l’île.
Entretien avec le Pr Maturin Tabue-Teguo au CHU de Pointe-à-Pitre
Point épidémio-régional Guadeloupe - 8 janvier 2021
Comment la Guadeloupe a-t-elle vécu les 2 vagues de l’épidémie COVID-19 ?
“Nous sortons à peine de la 2e vague.
La 1ère vague n’a pas été une véritable vague, en revanche celle de septembre a été une vraie vague (notamment le cluster survenu le 4 janvier lire l'interview du Pr Maturin Tabue). À cette période nous avons été obligés d’ouvrir une unité de COVID gériatrie avec une capacité de 6 à 8 lits de courts séjours dédiés exclusivement à des patients âgés atteints par la COVID-19.”
Comment les équipes guadeloupéennes de gériatrie ont-elles géré cette épidémie ?
“Ce fut compliqué pour nous car il a fallu revoir toutes les organisations : lors de la crise du mois de Mars, les unités covid avaient été gérées par le service de maladie infectieuse et de post-urgences. Cette fois-ci, nous avons dû en ouvrir une également.
À cela s’est ajoutée la mission de coordonnation territoriale avec les personnes âgées vivant à domicile, en EHPAD (21 en Guadeloupe) et en familles d’accueil (en Guadeloupe il y en a actuellement 180 places agrées personnes âgées). Des cas de COVID-19 se sont déclarés dans 3 EHPAD et un cluster dans un SSR. Un des établissements de Palais-Royal a eu 25 cas et 2 autres établissements ont eu 4 et 3 cas. En tout, 32 cas dans les EHPAD et 3 décès.”
Comment expliquez-vous le faible pourcentage de décès dans les DOM-TOM par rapport au national ?
“Nous n’avons pas véritablement d’explications. Nous sommes très intéressés à comprendre ce phénomène avec les collègues épidémiologistes et infectiologues. Notre premier constat est que les personnes contaminées étaient déments et déambulants.
De ce constat, nous avons émis plusieurs hypothèses qui restent bien sur à confirmer:
- le rôle protecteur de l’activité physique. Les performances physiques protégeraient-elles de l’infection à Covid ? Nous participons actuellement au programme multicentrique COV-Activité promu par le CHU de Toulouse pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.
- L’impact de l’environnement : nous sommes en zones tropicales et l’impact de l’environnement et une population jeune pourraient être des marqueurs pronostics.
- Le rôle protecteur de l’inflammation chronique, l’immuno-sénescence ou inflammaging….
Ce ne sont que des hypothèses… nous n’avons pas de réponses actuellement”.
Comment la campagne de vaccination se met-elle en place en Guadeloupe ?
“La COVID a touché les personnes âgées de la même façon que dans l’hexagone. Les vaccins sont arrivés et le 9 Janvier était la date officielle du lancement de la vaccination en Guadeloupe.
La stratégie est la même que sur le plan national : vacciner la population vulnérable et les soignants de 50 ans et plus. Dans notre stratégie avec l’ARS, nous avons en plus des EHPAD et USLD, incluent les familles d’accueil (le profil des familles d’accueil et les résidents est assez proche).
Nous avons organisé un webinar à destination des médecins coordonnateurs et une prochaine séances de formations est prévue la semaine prochaine.
Les infirmières de ville au sujet des consultations pré-vaccinales et la notion de consentement. Idem pour la semaine prochaine à l’attention cette fois-ci des médecins libéraux.
Il faut vraiment faire de la pédagogie, car comme dans l’hexagone seuls 40 voire 55 % de la population sont favorables. Dans les médias, plusieurs spots vidéos expliquent l’importance de la vaccination avec en perspective l’espérance d’une vie “normale” dans les prochains mois.
Toutefois, les gens sont quand même inquiets, l’enthousiasme n’est pas débordant quant à la vaccination mais tout le monde fait des efforts pour continuer à faire de la promotion et de la pédagogie. Avec de la pédagogie nous arriverons à avoir plus d’adhésion.”
L’image de la gériatrie a-t-elle évolué en Guadeloupe suite à cette épidémie COVID-19 ?
“Pour nous, en Guadeloupe, ça a été une vraie reconnaissance du métier de gériatre puisque les personnes âgées étaient touchées. On a pu recréer le lien avec des spécialités d’organes et avec la population. La mise en place d’une unité Covid gériatrie est aussi quelque chose qui nous a permis de revoir notre schéma de pensée gériatrique, la formation du personnel, nous avons redoublé de vigilance bien sûr dans nos soins puisque les signes chez les personnes âgées sont très atypiques. Nous avions affaire à une population vulnérable confrontée à une maladie virulente. Nos équipes ont été très soudées, d’autant que beaucoup de nos soignants ont été contaminés.
Nous avons mis en place une plateforme territoriale, une ligne de téléphone (hotline gériatrique) et ainsi pu montrer à l’ARS et aux différentes instances l’intérêt et l’importance de nos équipes.
D’autre part, cette épidémie a permis de faire un bond en avant concernant la e-médecine. Nous étions auparavant dans une fracture numérique pour pouvoir déployer cette e-santé en gériatrie. Aujourd’hui nous avons tous intégré la télémédecine dans la pratique courante des soins.
Il nous reste maintenant à mettre en place une équipe mobile de gériatrie de territoire.
Mais il est vrai que la COVID a accéléré les choses - il ne faut pas oublier que la gériatrie a été créée il y a seulement 3 ans en Guadeloupe (avant il n’y avait pas de court-séjour gériatrique).”
Et comment a réagi la population guadeloupéenne face à cette épidémie ?
“Avec le confinement il y a eu beaucoup de solidarités familiales. On a vu des familles se précipiter dans les services, il y a eu beaucoup d’exemples dans les EHPAD où des parents âgés ont reçu plus de visites qu’à l’accoutumée.
Il y a eu un vrai bénéfice humain, les gens se sont culpabilisés, nous avons retrouvé la solidarité familiale qu’on avait un peu perdue en Guadeloupe.”
Le mot de la fin ?
“Je voudrais adresser de vraies félicitations à nos équipes soignantes, à l’ensemble des acteurs du territoire, aux infirmières libérales qui se sont mobilisés. Ce fut assez phénoménal de voir la mobilisation de ce personnel, des équipes du CHU de la gériatrie, de la Société Guadeloupéenne de Gériatrie, qui se sont très rapidement organisées. Idem avec le réseau des médecins coordonnateurs avec lequel nous avons échangé quotidiennement grâce à un groupe WhatsApp. Je voudrais remercier toutes ces personnes qui se mobilisent pour être le plus efficients dans la gestion de cette pandémie auprès de nos aînés.” Ce d’autant que depuis le 04/01/2020, il a été mis en lumière un cluster Covid au CSG. Le combat pour n’est malheureusement pas terminé……
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