63 millions d’animaux domestiques vivent en France : au total, près d’un foyer sur deux possède au moins un animal de compagnie.
Peuvent-ils être éduqués ? Qui peuvent-ils aider ? Sous-estime-t-on leur utilité et leurs bienfaits (notamment auprès des personnes âgées ?

Les réponses avec :
Isabelle Fromantin, infirmière-chercheure spécialisée dans les plaies tumorales à l’Institut Curie Paris / UPEC et décorée de la Légion d’Honneur en 2015.
Caroline Gilbert, vétérinaire, enseignante-chercheur et professeur en éthologie à l’École Vétérinaire de Maisons-Alfort / UMR7179 CNRS/MNHN.

 

SFGG : On commence à peine à appréhender l’utilité des animaux de compagnie pour les êtres humains. Qu’a montré le projet K-Dog que vous avez initié ?

Isabelle Fromantin : « S’il est détecté tôt, le cancer du sein peut être guéri dans 9 cas sur 10.  Pourtant, trop de femmes encore, en France ou dans les pays à faible accès aux soins, n’y répondent pas ou n’ont pas accès au dépistage traditionnel. C’est de ce constat et de cette volonté qu’est né le projet KDOG. En 2009 je rédige alors une thèse sur les plaies associées au cancer du sein et plus particulièrement les odeurs tumorales (les composés organiques volatils (COV)). Mon objectif est alors d’établir un lien entre cancer et odeur des plaies.
J’envisage ainsi le recours à l’ « odorologie canine » : un chien spécialement formé pourrait déceler la présence des COV marqueurs du cancer. Dotés d’un sens de l’odorat infiniment plus développé que celui de l’humain, ils sont en effet capables de détecter un spectre d’odeurs très précis dans des quantités infimes de matière.
Pour la première fois, les chiens sont éduqués à dépister le cancer de façon transcutanée.
Les résultats de la preuve de concept ont été présentés en février 2017 par le Dr Séverine Alran et moi-même à l’Académie Nationale de Médecine. » et publiés. Nous démarrons à présent l’étude clinique (PHRC-K)

 
 
SFGG : Quels sont les avantages au dépistage du cancer par les chiens ?

I.F. :« Ce dispositif permettrait de dépister par exemple les personnes en situation de handicap. La mammographie, par exemple, est parfois inadaptée pour certaines personnes, car elle exige que l’on se tienne debout et immobile. Plusieurs études ont montré que ces difficultés d’accès conduisent à des participations moindres au dépistage, avec des conséquences néfastes pour la santé des femmes. KDOG prévoit d’étendre la mise en place du dispositif à l’extérieur de nos frontières pour, notamment, permettre un dépistage précoce du cancer des femmes et des populations vulnérables dans les pays en voie de développement, où les outils de diagnostic font souvent défaut. L’objectif est d’améliorer largement les possibilités de dépistage des femmes ainsi que de garantir une prise en charge médicale rapide et de qualité. »

 
 
SFGG : Que sait-on sur les animaux de compagnie ?

IF : « Il n’existe que peu voire pas de littérature scientifique autour des animaux de compagnie. Encore moins à domicile. Avec des médecins généralistes, gériatres et le laboratoire CEpiA (UPEC), nous  lançons une étude qui démarrera en décembre 2019 et qui a pour but d’étudier l’impact du chien de compagnie sur la solitude et lien social des personnes âgées à domicile.
L’idée de ce projet est que l’on met des millions dans les robots d’accompagnement, notamment dans les institutions (type Paro le phoque, très efficace en Ehpad) mais la question que l’on peut se poser est ‘Pourquoi ne pas investir dans nos propres ressources, l’animal de compagnie ?’ Recueillir des données scientifiques permettra de mettre des moyens et de déployer des solutions efficaces. C’est bien d’investir dans la robotique mais n’oublions pas d’explorer nos ressources, le chien de compagnie. »

Comment faciliter l’accès au chien de compagnie ?

I.F .: « Certaines personnes vont parfois s’interdire de prendre un chien car elles ne vont pas se sentir capable de s’en occuper. Il faut savoir que la SPA ou d’autres associations mettent à disposition des offres de services (comme balader les chiens). L’animal de compagnie peut être très bénéfique et tous ces leviers peuvent être travaillés. »
ll est important de savoir que l’on peut éduquer les chiens et ainsi optimiser la relation avec le maître comme lui apprendre à ne pas courir dans tous les sens, lui apprendre à appuyer sur un bouton si son maître fait une chute ou si son comportement est inhabituel (en tant qu’infirmière je constante un nombre important de cas ou les téléalarmes sont restées sur le bord du lavabo et pas autour du cou lors d’une chute.
Caroline Gilbert : « Protéger une personne et encore plus son maître est quelque chose de très facile à apprendre à un chien, puisque nous les avons sélectionnés pour nous aider. »

 
 
Quels sont les bienfaits des animaux de compagnie pour les personnes âgées ?

 

I.F. : « Avec le développement des chiens d’assistance et des métiers d’éducateur canin, il est possible désormais de se faire aider du chien pour différentes problématiques humaines. En Ehpad, avec les patients Alzheimer, il est remarqué que les chiens permettaient de libérer la communication comme avec les robots émotionnels (un patient qui ne communique pas avec un autre humain va plus facilement communiquer avec un chien ou un robot (phoque, peluche) qui va susciter l’empathie (des yeux très ronds, oreilles pendantes. »

C.G. : « Le chien est l’animal historiquement le plus proche de l’homme. Ce n’est pas étonnant qu’il soit utilisé pour aider le quotidien des hommes. Les handichiens pour les handicapés par exemple. On peut également entraîner des chiens pour des personnes sourdes et malentendantes : si la sonnette de l’entrée retentit, le chien va la détecter et va prévenir la personne. Ou encore pour des personnes diabétiques, épileptiques, des enfants autistes, des personnes qui vont faire des crises d’angoisse (stress post-traumatiques).
Mais il faut être intelligent et présenter le chien qui ira bien pour chaque personne, au cas par cas. Il faut aborder le chien comme un outil complémentaire à d’autres outils d’accompagnement de la personne âgée. Le chien ne remplace par le suivi médical de la personne âgée mais il peut certainement être un outil en plus pour le gériatre. Il est également vrai à l’inverse que nous n’allons pas mettre des chiens à toutes les personnes âgées. C’est encore une fois, du cas par cas. »

 

En tant qu’éthologue quels enseignements avez-vous tiré sur les animaux de compagnie ?

C.G. : « En éthologie on a très peu utilisé les animaux domestiques, leur préférant au départ et pour des raisons de protocole les animaux sauvages. Plus j’étudie les animaux de compagnie plus en effet je me dis qu’ils ont des capacités de compréhension de nos modes de vie et de nos comportements inouïs. Ils sont en réalité très bien adaptés à nous.
Les chiens et encore plus les chats sont totalement sous-estimés dans leur capacité à être éduqués. Il y a également plusieurs choses que l’on ignore comme le fait que tous les chiens sont éducables (et pas seulement les labradors ou les malinois comme on pourrait le croire), que le chien peut apprendre à n’importe quel âge, que ce qui peut être le plus long ce sont les apprentissages de base - une fois que le chien a un certain niveau il peut tout apprendre plus vite.
Un éthologue peut par ailleurs aider au choix du chien, quel chien selon l’âge de la personne et corriger les défauts d’éducation du chien facilement (comme une agressivité avec les petits-enfants par exemple). En fait tout dépend de la demande sociétale : notre travail est de formaliser (par la recherche) et d’éduquer les chiens aux besoins des humains. »

 

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« La médiation animale auprès des personnes âgées » (extrait du livre « Chats et chiens, compagnons, nos héros du quotidien » (Glénat)

« Jorka est une magnifique chienne golden retriever qui « travaille » depuis 2016 dans une résidence pour personnes âgées, près de Monaco. Jorka fut la première chienne confiée à une maison de retraite par l’Association des chiens médiateurs et d’utilité Provence-Côté d’Azur-Corse. Madame Carnicolla, une des confondatrices de l’association, explique comment ces chiens médiateurs embellissent le quotidien des résidents.

« Comme tous les chiens médiateurs, Jorka était initialement destinée à accompagner une personne mal voyante, mais une anomalie articulaire au niveau des hanches a été repérée, l’empêchant de devenir chien guide. Ses qualités et son éducation ne sont cependant pas perdues car, aujourd’hui, elle se rend très utile auprès des personnes âgées. »

« Je suis toujours admirative devant Jorka : elle coopère avec tout le monde, avec une extraordinaire gentillesse et beaucoup de douceur. Par son comportement et sa présence chaleureuse, elle favorise la communication et réveille la mémoire affective des personnes âgées. »

« Je vois combien les résidents sont heureux de savoir qu’ils reverront la chienne le lendemain. Cette régularité des visites est importante, car, souvent, la médiation animale se limite à des visites ponctuelles d’animaux et les pensionnaires sont tristes de les voir repartir ».

« Ces chiens sont des diamants bruts, capables de redonner vie à des personnes qui se laissent parfois complètement aller. Je me souviens par exemple d’une femme qui appelait désespérément son fils tous les jours à l’entrée de la résidence. Quand Jorka l’a vu faire, elle a mis sa tête sur ses genoux et les crises de larmes de cette femme ont progressivement disparu ».

 

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