Les chutes silencieuses : bien plus graves qu’elles n’y paraissent
Une chute silencieuse en cache souvent une autre, bien plus dangereuse.
C’est ce qu’a démontré le Dr Antoine Piau, gériatre au CHU de Toulouse à l’occasion d’une étude qu’il a menée à l’Oregon Center for Aging and Technology (ORCATECH), le plus grand centre de recherche sur la e-santé dans le monde basé à Portland aux Etats-Unis.
Il a tout d’abord analysé 371 chutes survenues au domicile de 200 personnes âgées volontaires et suivies pendant 4 ans (74 % de femmes ; âge moyen de 83,3 ans). Ces chutes avaient été déclarées par e-mail, en réponse à un questionnaire hebdomadaire.
Les conclusions de cette étude ?
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- La plupart des chutes se sont produites à l'intérieur (62 %) et dans des endroits bien éclairés (81%)
- Les chambres à coucher étaient l’endroit le plus fréquent,
- Parmi les chutes qui n'ont donné lieu à aucune intervention de la part de professionnels de santé, 8% ont entraîné une modification de la capacité de marcher.
« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la majorité de ces chutes n’arrivaient pas dans l’escalier pendant la nuit. Mais, ce que j’ai trouvé de très intéressant, c’est qu’un grand nombre de ces chutes ne conduisaient pas le patient jusqu’à un professionnel de santé (hôpital, kiné, médecin, etc.). Ces chutes ne se manifestaient pas par des blessures (plaie, fracture), tout allait bien en apparence, mais elles altéraient la marche et ça, c’est très grave chez une personne âgée », explique Antoine Piau pour qui ces « chutes silencieuses », habituellement classées comme non préjudiciables ou non traumatiques, peuvent néanmoins augmenter le risque de perte d’autonomie.
Quelle que soit la gravité de la chute il faut consulter : c’est en d’autres termes ce que cette étude a montrée.
« En y prenant garde, en repérant ces chutes sans apparentes conséquences, on pourrait faire gagner aux patients des années en bonne santé ».
Un dispositif pour prévenir les chutes : des capteurs de mouvement
Les chutes demeurent un fardeau important pour les personnes âgées.
Nous pouvons actuellement répondre assez facilement à la question "Est-ce que mon patient tombera ?", mais il est difficile voire impossible de savoir quand !
Cette 2e étude menée par le Dr Antoine Piau permettra sans doute, dans l’avenir, de prédire et prévenir les chutes (plutôt que guérir) avec le bon « timing ».
Dispositif :
En utilisant des données obtenues sur 3 ans grâce à des capteurs infra-rouge à domicile (capteurs placé au plafond du salon des participants), il a été possible de mesurer des choses insensibles à l’œil du médecin comme la vitesse de marche, sa variabilité, le type de déplacement, les changements de pièces. Grâce à ces données d’une valeur inestimable – d’ordinaire indisponibles pour les médecins -il a été possible de repérer les personnes qui allaient chuter dans le mois suivant.
Cela permettrait de mieux cibles les interventions de prévention.
Comment ?
« La chute en apparence brutale est en fait la résultante d’une succession de petits problèmes qui freinent la bonne mobilité de la personne âgée. Une marche peut en effet s’altérer imperceptiblement mais sûrement en raison par exemple de prise de somnifères, de petits accidents vasculaires, d’un processus pathologiques subaigu et asymptomatique en apparence etc. qui vont conduire dans les semaines qui suivent à une chute » explique le Dr Piau. « Les ‘biomarqueurs numériques’ peuvent offrir de nouvelles perspectives et nous permettre de prédire une chute avant qu’elle ne survienne et donc intervenir au bon moment. »
Les conclusions de cette étude ?
- 1ère étude à fournir la preuve d'un " biomarqueur de suivi numérique " sur le risque d’une chute future. Ce travail ouvre des perspectives pour les mesures en temps réel. Il pourrait être essentiel de déterminer qui, au sein de la population à risque, pourrait subir une modification de son risque de base pour que l'intervention soit plus efficace et plus opportune.
- On sait maintenant que l’on peut diagnostiquer de façon précoce des chutes.
- Les algorithmes utilisés et la précision de la mesure ont été rendues publiques et donc accessibles à toutes les entreprises qui veulent s’y intéresser (solutions de suivi d’activités à domicile par des capteurs, patchs, etc.).
Lire l’étude « When will my patient fall? Sensor-based in-home walking speed identifies future falls in older adults » dans la revue The journals of gerontology.
Chutes : conseils de prévention
- Dire aux personnes âgées et à leur entourage : « si vous tombez dans la vie de tous les jours, même si vous vous relevez seul, même si vous n’avez pas de douleur, ce n’est pas anodin : c’est un signe d’alerte qu’ils ne faut pas négliger. Toute chute est importante »
- C’est justement quand tout va bien que l’on peut aller vers un vieillissement réussi. Si on attend trop longtemps et qu’on ne voit pas les signes, il peut être trop tard. Il faut intervenir quand ces chutes silencieuses arrivent parce qu’elles altèrent insidieusement l’état de santé de la personne âgée. Elles sont le signe d’une fragilité.
Allez plus loin :
- Retrouvez le Dr Antoine Piau dans l’émission « Le Magazine de la Santé » (France 5) tous les mercredis dans une rubrique dédiée à la gériatrie.
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