Pour les Français de plus de 80 ans, le cocktail de l’été pourrait se révéler explosif. Les voici à nouveau en première ligne. Face à une situation « très inquiétante », l’épidémiologiste Antoine Flahault, à la tête de l’Institut de santé globale à Genève (Suisse), souhaite alerter. La communauté des gériatres, « sans être alarmiste », appelle de son côté à se montrer « très vigilant », selon Olivier Guérin, vice-président de la Société française de gériatrie et membre du conseil scientifique.

Car si l’équation estivale comporte de nombreuses variables, ses ingrédients sont connus. D’abord, la montée en puissance de BA.5, sous-variant d’Omicron très transmissible. Au Portugal, il est à l’origine d’une vague meurtrière (1 500 décès), dont le pic a été franchi début juin. « 93 % de ces morts avaient plus de 80 ans », rappelle le professeur ­Flahault, qui estime que le bilan final pourrait s’élever à 3 000 décès. En transposant celui-ci à la population française, « la vague actuelle pourrait, avertit-il, causer jusqu’à 20 000 morts dans l’Hexagone ». Plus que la canicule de 2003. « Ce ne sont pas des prévisions, nuance l’épidémiologiste, mais un scénario qui doit inciter à protéger les personnes âgées et immunodéprimées. »

D’autres experts, au sein du conseil scientifique notamment, mettent en doute ces projections. Selon eux, la situation portugaise ne serait pas transposable à 100 %. La population, pourtant mieux vaccinée, se serait retrouvée plus vulnérable face à l’arrivée du BA.5. D’une part à cause de la baisse d’efficacité du vaccin au fil du temps, la campagne vaccinale pour la troisième dose y ayant débuté plus tôt qu’en France. D’autre part parce que, à l’inverse de l’Hexagone, le Portugal n’a pas connu de forte vague épidémique liée à la souche BA.2. Or, une infection par ce sous-lignage protégerait mieux contre les variants BA.4 et BA.5. « C’est en partie vrai, mais le nombre de tests s’est effondré là-bas à cette période, complète le professeur Flahault. La circulation du BA.2 a pu passer sous les radars. »

« On teste dès qu’on a un doute »

À ce stade, la déléguée générale du Synerpa, le syndicat des Ehpad privés, Florence Arnaiz-Maumé, affirme « ne pas avoir d’alerte ­particulière » : « On teste dès qu’on a un doute, mais on n’observe pas de hausse des décès ou des hospitalisations parmi nos résidents. » Un point inquiète davantage : le faible taux de couverture de deuxième rappel vaccinal. Au 13 juin, seuls 29,2 % des plus de 80 ans avaient reçu une quatrième dose. Mais selon le professeur Guérin, leur protection avoisinerait en réalité les 50 % : « Beaucoup ont eu une infection qui leur confère une immunité supplémentaire, ils se sont autotestés et cela n’est pas comptabilisé. » Pour autant, la relance d’une campagne de rappel auprès de ces populations constitue selon lui « l’une des premières urgences » à l’orée de l’été. « On ne confinera pas nos aînés, explique Olivier Guérin. D’accord pour plus de souplesse sur les visites, mais à condition de vacciner les résidents et de maintenir à tout prix les mesures barrière. »

D’accord pour plus de souplesse sur les visites, mais à condition de vacciner les résidents et de maintenir à tout prix les mesures barrière

Les Français y sont-ils prêts ? Obligatoires à l’hôpital et pour les personnels des Ehpad, les masques ne sont que recommandés dans la population. « Sacrément recommandés, corrige Oliver Guérin. C’est une question de responsabilité individuelle. » Antoine Flahault prône, lui, le port obligatoire d’un modèle FFP2 pour tous les visiteurs et employés en Ehpad. Une idée que balaie ­Florence Arnaiz-Maumé, en rappelant que l’obligation vaccinale reste en vigueur chez les soignants : « Nos salariés portent le masque depuis deux ans et, par ces chaleurs, on sent une lassitude chez ceux qui ne sont pas en contact avec les résidents. » Le professeur Flahault milite pour l’instauration d’une stratégie efficace de tester-traiter chez les plus de 80 ans : « Dès qu’on a un cas, on traite ! Deux antiviraux permettent de faire baisser le risque de forme grave, utilisons-les à bon escient. »

Le scénario noir de juillet-août ? Un afflux de patients âgés dans des services d’urgence hospitaliers déjà exsangues. « C’est la bérézina, témoigne le professeur Guérin. Au CHU de Nice, nous avons dû ouvrir une ligne de garde médicale en plus pour accueillir le report de patients des urgences de Draguignan, qui sont en grande difficulté. » Dans les Ehpad, qui peinent à recruter, la situation pourrait se tendre en parallèle. Et se révéler encore plus épineuse en cas d’épisodes caniculaires. Car, pour éviter la diffusion du virus, il convient de ventiler au maximum ; mais pour lutter contre la chaleur, il est recommandé de se calfeutrer… Dans ce paysage sombre, un espoir : que le climat favorise la décrue. Là encore, rien n’est certain. « Lors de l’été austral, la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou l’Afrique du Sud ont connu de fortes vagues épidémiques, rappelle Antoine Flahault. On ne peut pas tabler sur la météo. »

 

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