Alors que le Ségur de la Santé a été lancé lundi 25 mai 2020, 2 mois, jour pour jour après le discours, le 25 mars dernier à Mulhouse, d’Emmanuel Macron promettant à tous ceux qui ont été mobilisés dans la crise du COVID-19 : “ un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières pour notre hôpital », les instances représentatives de la gériatrie (CNP, SFGG et CNEG) ont rencontré Dominique Libault, auteur d’un rapport sur le grand âge remis en mars 2019.

Dominique Libault est président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFPS).
Son rapport avait marqué le secteur du grand âge par la pertinence de son état des lieux et de ses recommandations (lire son ITV sur le site de la SFGG).

Voici son analyse de la crise sanitaire et ses idées pour un nouveau système de santé.
Comme une discussion, les 3 présidents des instances gériatriques, Claude Jeandel (CNP de Gériatrie), Olivier Guérin (SFGG) et Gaëtan Gavazzi (CNEG) ont enrichi cet entretien de leurs réflexions.

 

“Globalement la crise a plutôt exacerbé les constats que j’avais faits dans mon rapport, plus qu’elle ne les a infirmés” explique en exergue Dominique Libault. “Il y a néanmoins de grandes leçons que l’on peut tirer de cette crise”.

Les voici :

    • Le sujet du grand âge : “Notre société n’anticipe pas assez le sujet du grand âge, qui va être un sujet démographique très important. La crise a mis en évidence que le sujet du grand âge n’était pas traité comme une priorité. Il y a une prise de conscience désormais à travers cette crise que l’on ne peut nier d’où la nécessité de construire une société de la longévité”.
    • Le sujet des personnels de l’accompagnement du grand âge : “J’avais évoqué dans mon rapport -et le rapport El Khomri avait renforcé mon analyse- que c’était une priorité absolue. La question des personnels de l’accompagnement et du soin est une priorité parce qu’il y a de vrais problèmes d’attractivité et de valorisation de ces métiers. C’est un sujet auquel il faut vraiment s’attaquer pour  garantir la continuité et la qualité des soins.
    • Le sujet de l’hôpital : “La crise a aussi permis d’identifier les problématiques liées à l’hôpital. Il est difficile voire contre-productif d’envisager les métiers de l’hôpital sans envisager ceux du médico-social (Ehpad, mais aussi domicile) Il est primordial de bien inclure le médico-social dans une réflexion globale sur la réorganisation du système de santé.
    • La question de la coopération entre acteurs du même territoire : “J’avais insisté dans mon rapport sur le décloisonnement, le parcours de la personne plus que les institutions : la crise a mis en évidence que les acteurs doivent se parler et coopérer. Un Ehpad tout seul, dans la situation d’une crise sanitaire, ne peut pas s’en sortir. Il doit pouvoir être en lien avec d’autres acteurs - les équipes d’hygiène, l’expertise gériatrique, les hotlines, les renforts médicaux, les médecins libéraux. Cette coopération s’est souvent construite dans l’urgence de la crise du Covid-19, sauf sur les territoires plus matures, ceux notamment des expérimentations PAERPA. Il s agit  de les consolider dans le long terme. Le décloisonnement me paraît comme une nécessité très forte, impulsée par le national, mais réalisée par les acteurs sur les territoires.
    • Repenser le modèle Ehpad : “La crise accentue les questions autour du modèle EPHAD.. Des sujets comme la question très pragmatique de l’architecture : on voit qu’il y a des bâtiments qui permettent plus facilement d’isoler des malades, de séparer les résidents des uns des autres. Certaines architectures en revanche posent vraiment problème. L’équilibre entre les personnes accueillies et celles qui restent à domicile est une vraie question. En cas de de crise sanitaire on voit une certaine fragilité des structures collectives. Les risques de contamination sont plus élevées. Le renforcement à domicile peut être une solution plus respectueuse du libre choix de la personne, avec cette idée qu’elles restent dans la société, qu’elles puissent continuer à vivre leur vie, à supposer qu’on mette des conditions adéquates en terme de logement et de services à domicile”.
  •         Les mouvements de solidarité envers les personnes âgées. “La crise a également permis une prise de conscience du risque d’isolement social. Pour certaines personnes, il faut le dire, le confinement n’a pas changé tant de chose tant que cela. Il y a eu une prise de conscience de solitude des personnes âgées avec de nombreuses initiatives qui ont permis souvent de diminuer un isolement préexistant. Je pense qu’il faudra  trouver les conditions d’une pérennisation, Jerôme Guedj travaille à cela.

 

Concernant le Ségur de la Santé, Dominique Libault pense que :

“l’organisation centrale du système de santé” doit en effet s’enrouler autour “du sujet des personnes âgées” en soulignant qu’il est “légitime et souhaitable que les représentants de la gériatrie soient des acteurs majeurs de la réflexion par leur regard transversal”. Et d’ajouter : “Je pense que le vrai sujet c’est le décloisonnement du système de santé avec le social. C’est cette coupure sanitaire et sociale que l’on vit dans le domaine des personnes âgées qui me semble être le problème”. Des approches ont été développées dans le repérage de la fragilité tel que le programme ICOPE de l’OMS portée en France par Bruno Vellas : “Cette notion de fragilité fait référence à des notions physiologiques et sociales. Tout le monde est d’accord sur l’idée que c’est l’anticipation des risques sociaux et des risques physiologiques qui permet de travailler sur le risque de dépendance lui-même. Pour mieux permettre la coordination entre les acteurs, le dispositif PAERPA que j’avais piloté avec la coopération Sylvie Legrain et de Claude Jeandel a montré que l’essentiel était de partir du terrain pour permettre de poser des diagnostics, de bâtir des projets en commun et que les services de l’État voire des collectivités locales soient en appui de ces projets. Ça demande un changement de posture de ces services. Je pense notamment aux ARS qui ont été un peu critiquées. Elles restent une très bonne initiative mais elles doivent sans doute être beaucoup plus en appui avec des projets locaux et non pas en silo sur différents segments de la dépense de santé.”

Pour conclure, Dominique Libault tient à rappeler que :

“dans cette politique, la question de la prévention est tout à fait capitale, notamment au regard des performances médiocres de la France en terme d’espérance de vie en bonne santé. Et enfin la crise, à travers le traitement des personnes âgées nous amène à cette question simple : quelle vie voulons nous pour nous-même et pour les autres ? Les questions ont été posées par de nombreuses personnes dont des philosophes autour du confinement des âgés. Même s’il était limité dans le temps, on voit tous que celui-ci se traduit par une forme d’enfermement et de limitation de la vie elle-même. À travers les questions du grand âge, ce sont des questions fondamentales du sens de notre vie individuelle, et de nos constructions collectives qui sont posées”.

 

Interviews croisées avec les 3 présidents des instances gériatriques
Claude Jeandel (CNP de Gériatrie), Olivier Guérin (SFGG) et Gaëtan Gavazzi (CNEG) qui ont enrichi cet entretien de leurs réflexions.