Interview du Professeur Gaëtan Gavazzi, professeur de gériatrie au CHU de Grenoble et infectiologue.

Vendredi, le Dr Marc Noizet, chef des urgences de Mulhouse annonçait une mesure drastique : "Au-delà de 75 ans, avec ou sans comorbidité, on n’intube plus" les cas graves de Covid-19. Votre réaction face à ce choix ?

C’est une situation de guerre et je comprends le malaise que cela provoque. Cela veut dire que les plus vulnérables, ceux qui a priori ont le moins de chance de s’en sortir, sont laissés. Parce qu’à la guerre, à un moment donné, quand on est submergé, on a besoin de critères simples pour "trier" les urgences. Or je connais dans ma patientèle des personnes de 80 ans qui sont plus en forme que moi. En arriver là est donc terrible pour les soignants qui, en Alsace, ont été pris de court par la déferlante. On ne peut pas leur jeter la pierre. Mais la vraie défaite est celle de l’organisation du soin en France, le fait qu’à l’échelon national on n’ait pas été assez préparé assez vite à un tel scénario de crise. Ailleurs, nous avons eu plus de temps et nous aurons donc sans doute la chance d’avoir d’autres solutions. "Aucune discrimination" : cela doit rester la règle, le choix l’exception.

 

Ce même vendredi, il y a aussi eu ce cri d’alarme, le possible décès de 100 000 personnes âgées si rien n’est fait. Gériatre, vous attendez-vous à une catastrophe ?

100 000 est un chiffre symbolique d’alerte. Mais ce qui est certain, c’est qu’il peut y avoir des milliers de morts et notamment dans les mois qui vont venir, après la première vague, parce que ces personnes mourront de l’insuffisance de soins disponibles et du défaut d’organisation de la médecine de soin en communauté. Je m’explique. Si l’Alsace avait pu avoir une semaine de délai, ses hôpitaux n’auraient pas été saturés : en France, nous avons un système hospitalier extraordinaire et en dix jours, tous les hôpitaux ont été capables de se transformer : ils sont prêts. Ici, à Grenoble, on a doublé les lits en réanimation. Mais nous hospitaliers, sommes en équipe et on a l’habitude de prendre en charge l’urgence. Ehpad, maisons de retraite, soins à domicile, face à une telle crise c’est autre chose : il faut se réunir, on ne sait pas forcément qui travaille avec qui, ni où sont les acteurs, ni coordonner une équipe de soin. D’un coup, il faut transformer une structure où le virus est entré en un service de médecine aiguë avec les moyens du bord, un peu comme si on demandait au club local d’organiser immédiatement une coupe du monde. Sachant que si nous, à l’hôpital, nous avons une infirmière pour 10 patients, là, on a une infirmière pour 80 résidents et le médecin vient de l’extérieur. Pour des questions organisationnelles et financières, rien n’est facilité par le système… Pourtant, les acteurs sont là, disponibles, prêts à agir, à intervenir, chez les médecins libéraux, les infirmières, mais le cadre reste à construire et il faudra faire sauter beaucoup de verrous, financiers notamment.

 

La première urgence, c’était les masques. Ils arrivent. Après ?

Ces 500 000 masques annoncés, c’est positif, cela va rassurer les gens, mais ce n’est que la surface de tout ce qu’il faut changer en profondeur. Car après la première vague, il y aura la deuxième. Certains vont mourir du Covid-19. Certains vont faire un Covid-19 moins grave et ne vont pas en mourir ou plus précisément, ils ne vont pas en mourir tout de suite… Car si rien n’est fait, c’est ce qui se passera faute de soins disponibles et au-delà des morts, la souffrance des familles sera terrible. On doit donc s’inscrire dans le long terme, car pour l’heure, le système n’est pas organisé pour faire face alors que nous nous devons d’éviter les complications pour ces personnes fragiles. Il nous faut donc revoir toute notre organisation sinon, cela recommencera.

 

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