C'est une spécialité médicale qu'on entend moins mais qui est tout aussi exposée que les urgentistes ou les réanimateurs à la crise que nous connaissons. On vous parle des gériatres, les médecins spécialistes de la vieillesse. Chaque jour, ils voient des patients mourir à l'hôpital ou dans les Ehpad en grand nombre. Ils ont l'habitude, cela fait partie de leur métier mais la mort du COvid-19 n'est pas comme les autres. Reportage dans la région Grand Est.

Nous sommes maintenant avec le Pr Olivier Guérin, chef du pôle gérontologie au CHU de Nice et Président de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie. On parle en effet  beaucoup des services de réanimation et des urgences mais c'est dur aussi en gériatrie, en gérontologie dans vos services en ce moment ?

Oui c'est dur aussi dans les services de gériatrie partout en France et notamment évidemment dans les zones les plus exposées où le virus circule beaucoup. Il faut savoir que la population gériatrique, à l'hôpital mais aussi dans les Ehpad, est extrêmement exposée avec un taux de mortalité très important, entre 20 et 30%.

 

Est-ce que souvent dans les hôpitaux, les patients sont transférés en réanimation ou alors ils doivent rester dans les services de gériatrie pendant tout le temps que dure leur détresse respiratoire ?

La décision médicale de la réanimation est une décision individuelle qui évalue à chaque fois le bénéfice-risques. Dans cette population gériatrique c'est vrai qu'elle est assez peu fréquente du fait des comorbidités et de l'âge, pour une réanimation qui est une prise en charge très lourde et pour un temps assez long donc peu de patients aurait un bénéfice à bénéficier de la réanimation mais évidemment il y en a quelques-uns et encore une fois, c'est très important, dans notre système de santé, que cette décision soit bien individualisée.

 

Ce doit être particulièrement anxiogène aujourd'hui pour les patients dans les services de gériatrie et dans les Ehpad. Vous essayez de les préserver ?

Alors il y a en effet à la fois une dimension psychologique qui est majeure et désormais avec les référents gériatriques de territoires et les hotlines gériatriques pour aider au mieux depuis les hôpitaux les collègues des Ehpad, on tient compte de cette dimension là. Mais au-delà de la dimension psychologique, évidemment c'est la dimension sanitaire qui nous préoccupe avec surtout l'enjeu clé qui est que le virus n'entre pas dans les structures gériatriques-hospitalières ou dans les Ehpad. On essaie de se battre au maximum sur ces mesures barrières et sur l'efficacité qu'on peut avoir à ne pas faire entrer le virus.

Vous redoublez de vigilance et parmi ces mesures, il y en a une qui est particulièrement dure à vivre pour les personnes dans vos services, c'est l'isolement. Les proches ne peuvent plus venir, justement pour protéger les personnes âgées qui se retrouvent seules, vous devez les accompagner dans cette situation ?

Alors c'est vrai que les visites extérieures sont interdites pour limiter le risque de diffusion. On a des moyens pour palier en partie cette distanciation sociale nécessaire par le numérique notamment et toutes les équipes sont en général sur le pont pour maintenir un lien social le plus souvent numérique malheureusement.

 

Près de 900 morts dans les Ehpad recensés par la Direction Générale de la Santé. Des chiffres donnés hier par le Pr Jérôme Salomon, vous parlez d'une sur-mortalité de 20 à 30%, est-ce que ce recensement des décès liés au Covid-19 va augmenter dans les jours à venir ?

Oui, les remontées d'informations du terrain via les ARS sont absolument nécessaires. Les circuits sont en train d'être plus robustes et effectivement c'est la Direction Générale de la Santé qui centralise. Ce qu'on sait c'est qu'à partir du moment où l'épidémie gagne un Ehpad, malheureusement la mortalité en interne à l'établissement est importante et ce qu'il faut bien comprendre, c'est notre nécessité de pouvoir aider ces établissements à prendre en charge du mieux possible à la fois avec du matériel et des ressources humaines les résidents d'Ehpad sur le site de l'Ehpad.

Les personnes âgées s'inquiètent souvent pour leur santé et dans ce contexte c'est encore accru ce sentiment d'être exposé, parfois à des maladies, il faut que ces personnes continuent à solliciter leur médecin en cas de doute je pense surtout aux personnes âgées qui restent à domicile. Ne pas hésiter à appeler son médecin traitant ?

Oui tout à fait. On parle beaucoup des Ehpad, on parle beaucoup des patients âgés à l'hôpital mais il y a l'immense majorité des personnes âgées à domicile qui ont le même confinement que la population et pour ceux-là il y a deux enjeux : à la fois se préserver du  COVID-19 mais aussi continuer à être suivis sur l'ensemble de leurs pathologies. On ne pourrait pas supporter d'avoir une perte de chances sur les autres maladies qui continuent leur chemin et avec des prises en charge qui sont nécessaires. Et on a à la fois cet aspect sanitaire mais aussi cet aspect social, je pense aux 300 000 français qui sont très âgés et isolés au domicile et là on fait un gros travail avec les maires de France qui sont sur le pont pour aussi assurer les services à la personne avec aussi l'équipement des collègues des services à la personne pour assurer le maintien de l'autonomie au domicile.

Pour être très concret, ces personnes âgées isolées surtout en cette période doivent rester en contact avec les professionnels de santé qui les accompagnent au quotidien, leur médecin traitant et les différents spécialistes ?

Exactement. Les services de santé, via leur médecin traitant, dans l'idéal en télé-consultation quand c'est possible mais pour des gens isolés et âgés ce n'est pas toujours facile, et puis surtout les services sociaux qui doivent assurer cette veille permanente pour cette population vulnérable et désormais confinée.

Un dernier mot Olivier Guérin pour revenir au reportage sur la situation de vous, de ces professionnels de la vieillesse. Situation psychologique : vous êtes confrontés à une surmortalité, vous avez l'habitude de la mort, ça fait partie de votre métier mais là c'est différent...

Oui c'est différent parce que c'est beaucoup plus fréquent malheureusement et puis ce sont des fins de vie lorsque ça tourne mal, qui sont difficiles à gérer et qui nécessitent une technique et des médicaments pour qu'on puisse accompagner le mieux qu'on peut, de manière assez rapide et là-aussi il nous manque des bras et des ressources.

Merci beaucoup Pr Olivier Guérin d'avoir accepté l'invitation de France Info. Merci pour tout ce que vous faîtes, vous êtes chef du pôle gérontologie au CHU de Nice et président de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie.

 

Allez plus loin :
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