« Les restrictions de visite, puis les interdictions, ont été décidées début mars, pour protéger les populations fragiles du coronavirus », rappelle le Dr Yves Passadori, gériatre, directeur médical des pôles de gériatrie de Mulhouse, Sierentz et Rixheim, rattachés au GHRMSA (Groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud Alsace). Hélas, pour la région mulhousienne, ces restrictions parvenaient déjà trop tard. « On sait que les premiers cas sont arrivés dès fin février, par les personnes qui avaient participé au rassemblement évangélique. Cela a commencé à Mulhouse et s’est ensuite étendu à la périphérie. » Résultat, le bilan actuel de l’épidémie dans les Ehpad relevant du GHRMSA est « mitigé », pour reprendre le terme – sobre – du Dr Passadori.
Un tiers des établissements épargnés, un tiers peu touchés, un tiers très touchés
Sept Ehpad rassemblant 861 lits à Mulhouse, Rixheim, Sierentz, Thann, Cernay, Altkirch et Bitschwiller-lès-Thann, ainsi que 193 lits en unité de soins de longue durée (USLD), sont directement rattachés au GHRMSA. Ils représentent moins d’un tiers de l’ensemble des quelque 3 500 lits d’Ehpad proposés sur l’ensemble du sud du Haut-Rhin, comme l’explique Julie Kauffmann, la directrice des sites et pôles gériatriques du GHRMSA. La situation actuelle dans ce pôle ne permet pas de donner une vision globale de la situation, mais elle est parlante.
Un peu d’espoir pour commencer : « Certains de nos Ehpad sont totalement épargnés, mais ce n’est pas la majorité, disons un tiers », indique le Dr Passadori sans entrer dans les détails (*). Pour un autre tiers, les établissements sont « faiblement touchés, avec deux, trois, quatre cas. » Enfin, un troisième tiers est « très touché, avec une spécificité mulhousienne. » La MMPA (Maison médicalisées pour personnes âgées) serait lourdement atteinte, notamment l’unité de soins de longue durée qui accueille des personnes particulièrement fragiles.
Instaurer des « secteurs étanches »
Quelle que soit la situation des établissements, le pôle gériatrie a mis en place un protocole précis. Les résidents sont testés « dès qu’ils ont de la fièvre et des signes respiratoires ». « Nous testons les trois premières personnes, puis on considère que les suivantes ayant les mêmes symptômes sont Covid positifs », explique le Dr Passadori. « Dès lors que des cas sont avérés nous essayons d’isoler des secteurs, de façon étanche, avec des mesures barrières rigoureuses et, si possible, des équipes dédiées. Mais tout dépend de la configuration des établissements. »
« Tout le personnel de nos Ehpad est équipé en masques, surblouses, surchaussures, calots, gants et solution hydroalcoolique », assure Julie Kauffmann. Mais cela ne suffit pas. Pour veiller aux bonnes pratiques, « une équipe opérationnelle d’hygiène va sur le terrain et sensibilise les personnels ». Car les mesures pour faire face au Covid-19 sont « très rigoureuses et nécessitent une formation. Par exemple, on n’enlève pas une blouse de n’importe quelle manière. » Les repas en commun, s’ils sont bannis de beaucoup d’établissements, ne sont pas abandonnés partout. Ils peuvent continuer à se faire, « quand les salles à manger sont assez grandes, en respectant la distance de sécurité entre deux convives et les plaçant en quinconce et surtout pas face à face », illustre le Dr Passadori.
« La vie sociale continue… sur tablettes »
Le directeur du pôle gériatrie tient à souligner que, même dans ces conditions très difficiles, « la vie sociale continue avec des communications avec la famille via Skype, sur des tablettes. Les équipes d’animation ont été renforcées avec parfois des personnels redéployés d’autres services comme la psychiatrie. » Pour aider à affronter la solitude, les psychologues sont très sollicités. Enfin, les relations avec les familles sont « physiquement maintenues », dans les situations de fin de vie.
Entre les exigences d’une hygiène rigoureuse et celles de la santé psychologique des résidents, l’équilibre est précaire. Mais le Dr Passadori assure que, dans les Ehpad relevant du GHRMSA, « nous avons réussi à stopper la contamination. Bien sûr, nous avons eu des décès mais nous n’avons pas beaucoup de nouveaux cas. »
« Mettre un pied à l’hôpital, pour un résident d’Ehpad, c’est une perte de chance »
C’est pour partager cette expérience mais aussi certaines ressources, que le pôle gériatrie du GHRMSA vient de mettre en place une cellule d’aide à la gestion de l’épidémie à destination de tous les Ehpad du Sud du Haut-Rhin (soit une quarantaine d’établissements). Le principe : un numéro de téléphone unique a été communiqué aux Ehpad. Une permanence téléphonique est assurée avec trois médecins gériatres qui se relaient de 9 h à 17 h. Ils répondent aux questions les plus simples et, si besoin, orientent vers les ressources spécifiques : équipe mobile opérationnelle d’hygiène, équipe d’hospitalisation à domicile, équipe mobile de gériatrie, équipe mobile de soins palliatifs.
« On est très loin de tout savoir sur cette maladie mais l’idée, c’est d’avoir des pratiques et des attitudes communes pour éviter la catastrophe », insiste le Dr Passadori. Et l’un des objectifs est que les Ehpad puissent, au maximum, « soigner elles-mêmes les patients atteints ». Pour cela, « il faut de l’oxygène, des perfusions, des seringues électriques et du personnel qui sait utiliser ce matériel ». D’où la mobilisation des ressources. Soigner sur place tant que possible, car « la plupart des cas ne sont pas si graves que ça ». Et car, « dans la situation actuelle, mettre un pied à l’hôpital, pour un résident d’Ehpad, c’est une perte de chance. On a eu des cas, les gens sont morts. »
(*) Pour les chiffres de décès et de personnes infectées dans leurs établissements, le Dr Passadori et Julie Kauffmann renvoient sur l’ARS (Agence régionale de santé), qui a indiqué lundi que, dans le Haut-Rhin, il y avait eu depuis le début de la crise 63 décès dans 33 établissements et 450 cas suspects. Le département ajoute : « Nous ne savons pas si cela veut dire que l’ARS ne comptabilise les décès que dans 33 Epahd ou s’il n’y a pas eu de décès dans les autres établissements ».
« Le plus dur, ce sont les courts séjours [hors Ehpad, donc], on admet des gens qui étaient autonomes et qui sont très malades, c’est terrible… J’ai plus de trente ans d’exercice, je n’avais jamais vu ça ! La canicule de 2003, à côté, ce n’était rien. Je supplie les gens de rester à la maison ! » La voix du Dr Passadori est blanche, on sent un homme éprouvé. Éprouvé comme le sont sans doute tous les personnels des Ehpad. Car dans ces établissements où les employés sont testés « dès qu’ils ont des symptômes », « nous avons un gros pourcentage de soignants atteints ». « C’est une vraie inquiétude pour nous », reconnaît Julie Kauffmann. Atteints, mais sur le pont pourtant. « Ils viennent travailler tant qu’ils le peuvent, avec des mesures barrières bien sûr, parce que sinon on ne tiendrait pas. Tant qu’ils n’ont pas une fièvre avec asthénie, ils travaillent et c’est admirable. Il faut leur rendre hommage », insiste le Dr Passadori.
Les instituts de formation étant fermés, les Ehpad du GHRMSA peuvent heureusement faire appel à des élèves aides-soignants, infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes. « On a cette chance-là, nous avons aussi pas mal de réservistes qui se sont portés candidats. » Malgré cette solidarité, « la situation est très tendue ».
« Pour les professionnels, nous avons mis en place des mesures de soutien, ils ont besoin de parler », souligne Julie Kauffmann. « Nous avons une prise en charge de couloir, avec une équipe mobile qui va échanger avec les soignants, le soir. » Le GHRMSA annonce aussi qu’il va mettre en place « un espace ressources » pour le personnel « avec des interventions sur la gestion du stress, de la sophrologie, de la méditation. » Les employés des Ehpad traversent actuellement des « conflits de valeur », remarque Julie Kauffmann. Ils ne savent pas comment agir dans un contexte épidémique aussi important. Il faut faire face rapidement et ils en souffrent… »
Allez plus loin :
- Lire l'article sur le site de l'Alsace
- Lire les autres articles
- Consulter la rubrique "Actualités Covid-19"
- Consulter la page "Covid-19, prise en charge en Ehpad"