Le Collège des sciences humaines et sociales (SHS) de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG) m’a donné mission, dès la fin 2013, de mettre en œuvre une réflexion sur les défis de l’interdisciplinarité et la place des SHS dans le domaine du vieillissement. Différents groupes de réflexion se sont constitués regroupant des personnalités issues de différentes disciplines. C’est dans ce cadre que deux figures reconnues de la gérontologie française et internationale ont accepté de croiser leur réflexion sur la manière dont la France pouvait mettre en place les conditions d’une fertilisation croisée entre les décideurs publics et les chercheurs des différentes disciplines opérant dans le champ du vieillissement. Ces deux chercheurs, l’un issu des sciences sociales et l’autre des sciences médicales ont accepté de nous faire profiter à la fois de leur expérience professionnelle mais aussi de leur connaissance pratique des politiques publiques. Ensemble, ils ont entrepris d’examiner quels étaient les liens entre la recherche en SHS et Santé et les politiques publiques dans le domaine du vieillissement dans le cadre hexagonal.

Leur contribution démontre à elle seule la valeur de l’échange interdisciplinaire.

De manière particulièrement inspirante ce texte ose enfin poser, sans détours ni verbiage, des questions que la France s’est épargnée pendant de longues décennies sur certains impensés de sa politique du vieillissement. Ces réflexions constituent sans aucun doute un moment fort dans le débat qui doit s’ouvrir en la matière. La seule question de l’articulation entre les systèmes de décision publique et la recherche en SHS et en santé publique peut déjà constituer, en soi, un premier objet d’étonnement tant elle est absente des débats publics. Cet impensé nous amène à tenter de comprendre comment se construisent les décisions en matière de politique du vieillissement à travers les structures (comité, conseils, commissions) mais aussi ceux qui s’y trouvent (ou pas) et que les auteurs appellent les « passeurs », à la fois chercheurs de différentes disciplines et acteurs de la décision publique (haut fonctionnaires, décideurs politiques). Qu’il s’agisse de la commission Laroque, ou de la mise en place des gestionnaires de cas, on aperçoit que la France n’est pas étrangère par nature à l’approche pluridisciplinaire des politiques publiques. Ce n’est donc pas une fatalité. Il suffit d’observer, comme nous y invitent les auteurs, les phénomène de vieillissement à partir de spectres disciplinaires complémentaires, et ce, dans le respect mutuel, pour saisir  avec acuité et justesse la complexité en jeu dans la compréhension du vieillissement humain. Se priver de l’apport des SHS amène souvent à l’examen des publics et des besoins à partir du seul prisme médicosocial.  Dès lors on s’interroge sur les effets grossissants d’une approche mono disciplinaire.  Seraient-ils de nature à créer des biais délétères dans les politiques publiques ? Le pilotage moderne de l’action publique peut-il faire l’économie d’une vision intégrée des données complexes que peuvent apporter les autres disciplines comme, par exemple, la sociologie, la psychologie, la démographie, l’économie, l’anthropologie, la géographie et tant d’autres disciplines. Comment intégrer ces apports dans la conception des politiques publiques mais aussi, dans l’élaboration les outils de pilotage et l’évaluation?
On s’interroge ici sur la manière de dé-segmenter la décision publique, mais aussi les disciplines, en les mettant en lien sur le plan institutionnel. Par exemple en dotant le Haut conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) de véritables moyens de recherche. Mais aussi en créant une véritable politique de soutien à la recherche dans le domaine du vieillissement à l’instar de ce qu’ont fait les Etats-Unis à travers le National Institute on Aging (NIA). Comment unir ces mondes de l’action publique et de la recherche, trop souvent confinés en silos? Faut-il impulser une action volontariste forte de regroupement des protagonistes pour créer une véritable communauté gérontologique en convoquant régulièrement une conférence de l’Elysée sur le vieillissement, à l’instar de la White House Conference on Aging où décideurs publics, chercheurs, professionnels, citoyens et médias sont invités régulièrement à poser un diagnostic sur l’état de la relation entre la société et ses personnes âgées ?

Quelles que soient les opinons, ce texte a le grand mérite d’ouvrir des portes en assumant son rôle d’agitateur d’idées et nous poussant ainsi à  tenter de repenser les cadres de l’action.

 

Pr. Jean-Philippe Viriot Durandal, Professeur des Universités, Université de Lorraine, Chercheur au 2L2S, Président du REIACTIS

 

Lire la contribution : "À quelles conditions la recherche en SHS et Santé publique peut-elle contribuer à éclairer le décideur public dans le champ du vieillissement ?"