Le record mondial de longévité détenu par la française Jeanne Calment a été mis en doute par des russes, Nikolay Zak, mathématicien et Valery Novoselov, gérontologue il y a quelques semaines. Une remise en cause difficile à croire tant l’enquête sur son âge cas fut encadrée, contrôlée et maintes fois validée. Jean-Marie Robine, démographe, directeur de recherche à l’Inserm et membre de la SFGG a validé l’âge de Jeanne Calment à l’époque.
Explications.

En 1989, Michel Allard, directeur scientifique de la Fondation Ipsen contacte Jean-Marie Robine pour initier une étude sur les centenaires en France. « À cette époque très peu d’études avaient été menées sur les centenaires car il y en avait peu. Étant donné que le 21e siècle allait connaître un nombre croissant de centenaires, j’ai trouvé que l’idée était intéressante ».

Jean-Marie Robine, à l’époque déjà intéressé par l’étude de la longévité, accepte de conduire et le protocole et mêle, pour la première fois, des disciplines. L’enquête devient épidémiologique, sociologique, anthropologique : il convoque psychiatres, psychologues et gériatres. Du jamais vu.

« Sachant que le nombre des centenaires double tous les 10 ans depuis 1959 nous nous attendions à en trouver 3000 en 1990 ». Ce fut le cas, l’équipe localise 3200 centenaires en France. Leur âge est validé par de nombreuses preuves parmi lesquelles les déclarations du médecin et l’acte de naissance.

Sur les 3200 recensés, des erreurs ont ensuite été corrigées, des obstacles levés et des fraudes mises à jour.
Pêle-mêle : la confusion des prénoms – à l’époque les frères (sœurs), oncles (tantes), parrains (marraines) portaient souvent le même prénom ; le mensonge sur l’âge pour partir à la guerre – l’assurance d’être logé et nourri pour les garçons de familles pauvres ; les conditions d’éligibilité à l’assurance de santé (aux États-Unis notamment). Finalement seuls 900 centenaires seront retenus pour l’enquête.

Parmi ces 900, Jeanne Calment âgée à l’époque de 115 ans. « Très vite nous avons pris conscience que nous avions découvert une personne qui avait une durée de vie extraordinaire » se souvient-il. « Son niveau de fonctionnement cognitif était absolument remarquable malgré quelques pertes de mémoire immédiates ». Une centenaire qui avait donc toute sa tête, capable d’avoir des longues conversations. Les vérifications sont faites : aucun doute, Jean-Marie Robine et son équipe sont face à la plus vieille dame du monde. Elle habite à Arles et est née en 1875.

Son histoire est étudiée au peigne fin : du mariage de ses parents à l’âge de 18 et 20 ans à sa naissance, 18 mois après, et la naissance de sa fille à l’âge de 18 ans. Les registres paroissiaux, civils, les coupures de presse, les documents scolaires, la recherche de ces ancêtres, la liste des habitants, rue par rue, logement par logement de 1840 à 1990, 15 heures d’entretien avec elle : les liens de la famille Calment sont reconstitués jusqu’au 17e siècle. Devant un cas si exceptionnel, la validation de sa trajectoire de vie fut extrêmement lourde –le fruit d’un travail à temps plein pendant 2 ans, effectué par une généalogiste.

Difficile ainsi d’imaginer que des éléments concernant la vie de Jeanne Calment aient pu passer entre les mailles du filet.

Difficile également d’imaginer que 30 ans plus tard, en septembre 2018, des inconnus russes – on ne peut leur attribuer le nom de chercheurs – aient réussi à trouver une faille au parcours de Jeanne Calment, pire, aient réussi à prouver que Jeanne Calment, doyenne de l’humanité à l’époque, n’était pas celle qu’elle prétendait être.

Depuis que leurs recherches ont été publiés sur le site internet Research Gate –réseau social pour chercheurs et scientifiques de toutes disciplines – le monde est en émoi. 17 preuves validant la thèse que Jeanne Calment avait en fait pris l’identité de sa fille, Yvonne Calment.

« La liste des 17 éléments est sidérante ». D’après eux, l’augmentation des droits de mutation en France (de près de 30%) aurait conduit la famille Calment à dissimuler la mort d’Yvonne Calment, la fille. « Cette fraude est absolument inconnue. Personne, ni moi ni aucun chercheur français, n’a jamais entendu parlé d’une telle fraude au moment des héritages. Comment des russes, éloignés de la France et de notre culture, pourraient-ils imaginer une telle possibilité ? »

Autre incongruité : l’enquête menée a prouvé qu’Yvonne Calment, morte à 35 ans, avait une santé fragile.

Acceptons un instant cette vérité : et si cette fraude était avérée ? Et si Jeanne Calment, doyenne de l’humanité décédée à l’âge de 122 ans en 1997, était en fait sa fille, Yvonne Calment (qui serait donc décédée à 99 ans) ?

« Cette histoire serait extraordinaire. Que lors de toutes nos rencontres jamais elle ne se soit contredite sur son identité ni celui de sa fille serait absolument stupéfiant. Que la famille ait donné de l’argent au curé et au maire pour faire semblant d’enterrer la mère et non la fille. Que dans le même appartement son mari ait partagé la vie de Jeanne puis d’Yvonne sa fille. Tout cela paraît tellement fou que si la famille Calment n’était plus championne de la longévité, elle devrait recevoir le titre de championne des fraudes ! ».

La vraie-fausse histoire a de quoi séduire les amateurs de complots et autres chasseurs de scoops. Elle n’a pourtant rien de plausible.