1er congrès de gériatrie à s’être tenu (en ligne) dans le contexte d’épidémie du COVID-19, le T2E Congress autour du sujet âgé, de la gériatrie, de la médecine d’urgence, de l’anesthésie et de la chirurgie a réuni quelques 500 personnes qui s’étaient connectées le 29 mai dernier de 16h30 à 19h30 pour assister à une dizaine d’interventions.
La SFGG vous propose le compte-rendu d’une session particulièrement attendue, celle du COVID-19, dont les données scientifiques, les expériences médicales et humaines de terrain et les réflexions sont parmi les premières à être dévoilées publiquement.
IMPACT SUR LE SYSTÈME DE SOIN –
Témoignage du Pr Pascal Bilbault, chef du service des urgences au CHU de Strasbourg et présentation de l’organisation dans la région la plus touchée par l’épidémie COVID-19
Dès décembre, un nouveau virus agressif a vu le jour en Chine et d’autres régions. C’est un virus que l’on regarde à ce moment un peu de loin, même chose lorsque l’épidémie arrive en Italie, car on se dit que le système de soin n’y est pas aussi performant que chez nous.
Puis le 1er cas arrive en France, fin février dans un lycée à Creil, puis d’autres cas en Savoie et dans le Morbihan.
Mi-février : tout le monde est alors en alerte.
Les choses se compliquent le 25 février lorsque 5 cas de Covid sont diagnostiqués sur 2 familles différentes dans la banlieue de Mulhouse. Lien est fait avec le rassemblement évangéliste où + 2100 personnes ont vécu « en communion » du 17 au 24 février.
Puis tous les jours de multiples cas se déclarent à Mulhouse, à Colmar, à Strasbourg, en Moselle, dans le Doubs et en Corse.
L’inquiétude de la population grandit ainsi que celle des professionnels de santé.
Entre le 27 février et le 1er mars : nous assistons à doublement des appels au SAMU67 et à un triplement autour du 14-15 mars.
Le 4 mars, une plateforme de délestage est créée, pour laquelle des étudiants en médecine sont recrutés (ils sont encadrés par des séniors).Le reste de la France n’est pas dans la même dynamique : il y a un décalage entre le local et le national. Le 3 mars au soir Jérôme Salomon annonce « un nouveau regroupement de cas » soit 7 jours après l’authentification locale.
Puis c’est le Jeu de domino : Mulhouse est submergée, Colmar le devient, même chose pour Strasbourg. En une semaine, les 3 plus gros hôpitaux d’Alsace sont immédiatement saturés en lits de réanimations.
On constate un décalage entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin : 48h/72 pour voir la vague arriver
Le bateau n’a pas coulé néanmoins, je tiens à le préciser.Ces 48h nous ont permis de nous organiser à Strasbourg :
- Une cellule hospitalière journalière 7/7
- Anticiper déprogrammation en interne
- Le Plan Blanc a été déclenché le 9 mars sans rappel de personnels (à la différence du plan blanc suite à l’attentat du Marché de Noël)
Des guides d’aide à la préparation et à la gestion des tensions hospitalières et des situations sanitaires exceptionnelles nous sont adressés mais signent déjà un retard pour accompagner les acteurs de terrain.
La Doctrine centrale sur le COVID-19 est envoyée le 20 février : préparation au risque épidémique puis celle du 14 mars préparation à la phase épidémique. Le 14 mars, pourtant, dans le Grand Est, nous étions déjà submergés.
De son côté l’ARS a lancé la déprogrammation des soins en temps utile : elle a permis d’arrêter toute activité justifiée dans le public et le privé.
Articulation régionale ARS et Zonale :
Tous les jours ces 2 infos ARS nous sont adressés, créant de la redondance d’informations.
Dans le système de cette épidémie de COVID-19 on a été amené à créer de nouvelles organisations :
Cellule (plateforme) de régulation territoriales des capacités en réa :
- Gérée par des réanimateurs (souvent retraités) pour :
- Indications de réa des patients
- Répartition des patients en fonction des disponibilités publiques et privées
- Basée au SAMU-centre 15 de Strasbourg
Pilotage de la reprise chirurgicale :
- Géré par anesthésistes / chirurgien public / privé
- Périmètres du GHT
Conclusions :
- L’impact majeur de cette crise COVID-19 sur le système de soin régional
- L’importance d’une bonne réactivité locale
- L’importance d’avoir une certaine agilité dans notre structure régionale
- Territoire GHT : utilité fonctionnelle dans cette crise
COVID-19 EN GÉRIATRIE AIGÜE EN ÎLE-DE-FRANCE
Présentation du Pr Jacques Boddaert, gériatre à la Pitié-Salpêtrière : Comment la gériatrie aigüe s’est organisée en Ile-de-France, 2e région la plus touchée par l’épidémie COVID-19 ?
Le retour d’expériences est centré sur l’activité à la Pitié Salpêtrière.
Un secteur COVID-19 a été monté à la Pitié Salpêtrière: le travail réalisé a été absolument remarquable.
Nous n’avions aucune connaissance du COVID-19, c’était une nouvelle maladie. On prenait des coups tous les jours.
Une cellule opérationnelle gériatrie Covid-19 a été créée. L’idée de constater ce qui se passait chez tout le monde pour réagir de façon collégiale et solidaire et pour essayer de voir quelles procédures on validait ensemble.
Ce fut une expérience humainement et physiquement très compliquée.
Ce que nous avons retenu :
- Un sentiment d’impuissance très violent malgré un engagement très fort. À partir du moment où le patient s’aggravait nous étions très démunis
- Cohésion et solidarité incroyable
- Prudence gériatrique en particulier concernant les traitements
- La gériatrie a su s’organiser avec réactivité et efficacité
- Il faudra que la gériatrie fasse des retex (retours d’expériences) pour comprendre et anticiper des situations similaires à l’avenir
- Les recommandations ont permis d’exporter les bonnes pratiques gériatriques pour les personnes extérieures à la gériatrie Patients âgés et Hydroxycholoroquine
La SFGG a été la 1ère société savante à émettre une alerte sur le risque iatrogène potentiel de la chloroquine.Profil du patient COVID (1ère cohorte gériatrique COVID-19 (821 patients) :
- 86 ans de moyenne d’âge
- 58% des femmes
- patients gériatriques
- Comorbidités : profil plus vasculaires, plus d’AVC, plus de diabète (avec le risque hémorragique qui accompagne les risques cardiovasculaires)
- Asthénie
- Dyspnée
- Toux sèche
- Confusion
- Fièvre
- Hypotension
- Myalgies
Les résultats de la première cohorte nationale gériatrique évaluant les paramètres habituels gériatriques seront connus prochainement.
QUELLES PROBLÉMATIQUES ÉTHIQUES GÉRIATRIQUES LIÉES À LA COVID-19 ?
Présentation du Dr Sophie Moulias, praticien hospitalier en gériatrie au sein de l’unité de court séjour gériatrique du CHU Ambroise Paré (Boulogne-Billancourt).
Toutes les réflexions qui vont suivre se posent dans le contexte de la pandémie dans laquelle les réseaux sociaux et les médias se sont invités dans la décision médicale. Les médecins se sont aussi invités dans la pensée politique comme si c’était normal.
Cela interpelle l’éthique à différents niveaux :
1. L’accès aux soins
Au début, le COVID-19 était une maladie une de réanimateurs et pas une maladie de gériatres
- Les patients sont devenus des « patients COVID » des « patients non COVID »
- Au début on ne savait pas où les mettre : personne ne les voulait ; ensuite on ne voulait plus qu’eux et on ne savait plus où mettre les autres
- Le terme de « triage » initialement utilisé est un vocabulaire utilisé dans la médecine de catastrophe ou de guerre. Nous avons, nous, préféré utiliser le terme de « priorisation »
- Partout il a été rappelé que l’âge ne constituait pas un critère : à ce moment-là on parlait du principe de « non malfaisance » (quand le risque que le traitement invasif pouvait être sans bénéfice réel - NB : ce n’est pas parce qu’on ne va pas en réanimation que l’on meurt) mettant les familles et les professionnels dans des situations ubuesques2. La priorisation des patients
Ce type de décision de priorisation doit être pris en multidisciplinarité (loi Leonetti) et force est de constater que cette loi s’est éloignée de nous pendant cette période et qu’elle n’a pas été appliquée comme on l’aurait voulu.
L’accent a beaucoup été mis sur les soins de réanimation et les soins palliatifs mais il y a eu beaucoup d’autres soins invisibles notamment des soins de gériatrie, en UGA par exemple. Leur invisibilité a été un problème dans l’accès aux soins.
Pour les patients non atteints par le COVID il y a eu des problèmes d’accès au soin : la chirurgie a été stoppée dans certains hôpitaux (les cancers), idem pour les thérapies (les chimiothérapies ont été suspendues).
Plein de choses ont été mises de côté - les accueils de jour cognitifs, psychiatrie, rééducations ont entièrement arrêté leurs activités pendant 2 mois - ce qui pose un souci particulier de réflexion : comment a-t-on envisagé la vulnérabilité ? Ce sont des personnes qui ont besoin d’une approche de soins au quotidien : les sans-abris, le handicap, le grand âge, etc. Nous avons isolé les plus vulnérables (fermeture des EHPAD) et ce au nom de la « bienfaisance », c’est-à-dire pour protéger des patients, des résidents.
En ce qui concerne le grand âge il y a les EHPAD mais aussi les « vieux invisibles » qui vivent dans la cité. Ils ont été abandonnés et laissés chez eux. Abandonnés sans soin. Nous n’avons toujours pas aujourd’hui de données sur le nombre de patients décédés à domicile pendant cette période, mais il est énorme (proche des victimes de la canicule de 2003).
- La question de l’autonomie
Comment avoir accès à la parole difficilement accessible du patient : on a vu un renforcement du paternalisme pendant ces 2 mois, on est passé de la parole du patient et de celle des proches à une absence de parole avec moins de concertation. Les hôpitaux et les EHPAD se sont complètement verrouillés, isolés du reste de la cité. Les décisions difficiles à prendre ont été assez mal comprises des autres : quelle parole a-t-on laissé aux sujets pendant cette période ?
- Le rapport humain
La perte relationnelle est importante et a été imposée partout même dans les zones vertes. Tout a été arrêté – les visites, les ateliers, les animations, même dans les cas où la relation était de 1 à 1 et pas de groupe.
Je pense que cette crise a altéré le rapport interhumain .
Le port du masque nous a rendus « tous pareil », nous enlevant une partie de notre différence, une partie de notre moi (avec aussi le fait que les personnes ne peuvent plus lire sur nos lèvres).
- La gestion de la fin de vie
« On vit dans une société qui a mis la mort de côté et cette mort nous revient complètement dans la tête ».
Il n’y a pas 50% des familles qui ont été autorisées à rendre visite à leur proche mourant ou même mort.L’humanité est née avec Neandertal car il enterrait ses morts. Aujourd’hui on a supprimé les rituels dans le rapport aux morts, même dans les toilettes des morts. C’est une situation très violente pour les familles et les professionnels (notamment l’emballage des corps, la mise en morgues communes).
Ce sont des choses violentes à digérer en société : il y a eu une atteinte à la dignité en raison de la déshumanisation de la mort, de la fin de la vie et du rapport au corps.
Cette atteinte à la dignité est singulière et plurielle.
C’est un choix porté par tous qu’il va falloir assumer ensemble.